La rencontre de la théologie et des sciences sociales au Québec[Notice]

  • Gilles Routhier

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  • Gilles Routhier
    Faculté de théologie
    Université Laval

Les relations entre théologie et sciences sociales ont connu diverses périodes et on peut observer une certaine évolution pendulaire entre des positions tantôt fusionnelles et tantôt polémiques. Ainsi, à la fin du xixe siècle, la sociologie de la religion, au moins en France, « s’était coulée dans le mouvement laïque », comme le rappelait François-A. Isambert. Aussi, en 1954, lors de la constitution du Groupe de sociologie des religions et du lancement, la même année, des Archives de sociologie des religions, Joachim Wach plaidait « pour qu’à l’affectation d’un coefficient anti-religieux ne succède pas une annexion de la sociologie religieuse par les confessions chrétiennes ». La situation française n’est toutefois pas représentative du climat général qu’on pourrait résumer, de manière trop schématique certes, dans les lignes suivantes : après la période euphorique qui suivit le concile Vatican II qui avait fait appel à des sociologues et qui avait encouragé l’usage de la sociologie dans la formation des séminaristes, période davantage marquée par un engouement pour la sociologie pastorale que pour la sociologie de la religion, les rapports entre théologie et sociologie se sont à nouveau brouillés à la fin du xxe siècle, comme en témoigne le débat récent autour de l’ouvrage de John Milbank. Pour le Québec, c’est ce qui m’intéressera désormais, on peut probablement décrire un itinéraire en quatre moments. La sociologie rencontre d’abord la théologie par le biais de l’analyse de la société, et ce, dès la fin de la deuxième moitié du xixe siècle au moment où l’industrialisation prend racine en Europe et que se profile l’affrontement entre le capitalisme et le socialisme. Ici, l’influence du catholicisme social européen, et celle de Frédéric Le Play en particulier, est déterminante. Du point de vue méthodologique, celui-ci est considéré comme un des fondateurs de la sociologie expérimentale ou, mieux, de la sociographie. Son livre phare, Les ouvriers européens (1855), illustre bien sa méthode. Devant le succès de son ouvrage couronné par l’Académie des sciences (1856), Le Play fonde la Société d’économie sociale qui poursuivra des recherches sur la condition des ouvriers et en assurera la publication sous le titre Ouvriers des deux mondes dont deux séries d’études de cinq volumes chacune sont publiées entre 1857 et 1899. On y retrouve des monographies de familles ouvrières d’Asie, d’Afrique et d’Amérique. C’est dans la troisième série de ces études, en 1904, que Stanislas A. Lortie publiera son étude Compositeur typographe de Québec qui présente une famille ouvrière de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Québec. C’est qu’avec plusieurs autres, Alphonse Desjardins, Paul de Cazes, Louis-Amable Jetté, etc., Stanislas Lortie était devenu membre, depuis les années 1890, de la Société d’économie sociale fondée par Le Play. C’est d’ailleurs sur son modèle que Lortie fondera, en 1905, à l’Université Laval, la Société d’économie sociale et politique de Québec à laquelle est naturellement associé Paul-Eugène Roy, figure emblématique du catholicisme social de l’époque. Avec Le Play et ses descendants, on est en présence d’une méthode qui fera école, méthode empirique qui s’intéresse à l’observation des réalités sociales et qui représente le premier point de contact sans doute entre la théologie et les sciences sociales. Ici, toute la réflexion se construit à partir d’observations colligées systématiquement, ce qui déplace de manière significative la façon dont se construisait la doctrine catholique de cette époque. Il ne faut pas négliger cependant que l’on est aussi en présence d’une théorie ou d’une vision de la société, certains ont même parlé à ce sujet d’une doctrine de la société. C’est sans doute à ce chapitre que divergent le monde des théologiens et celui des sociologues. Le Play, …

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