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Depuis plus d’une vingtaine d’années, des chercheurs associés au projet Corpus d’éditions critiques à l’Université d’Ottawa, des textologues pour la plupart, proposent une série de « classiques » québécois à l’enseigne de la Bibliothèque du Nouveau Monde. Jacques Blais, qui a jadis publié les Satires et polémiques de Louis Fréchette dans cette prestigieuse collection, présente cette fois chez Nota bene l’édition commentée d’une conférence d’Edmond Boisvert, dit De Nevers. Cet énigmatique essayiste et penseur fut l’une des grandes figures de la vie littéraire et culturelle au tournant du siècle dernier.
Comparativement aux écrivains de sa génération, la carrière de Nevers épouse une trajectoire atypique. Né en 1862, il manifeste un goût prononcé pour la lecture et la littérature dès son jeune âge. Une fois ses études classiques terminées, il devient avocat, mais il rêve de voyager. À partir de 1888, il se rend en Europe (Londres, Berlin, Rome, Vienne, Paris, Madrid) et passe huit ans à voyager et à fréquenter les grandes bibliothèques. Il gagne sa vie à Paris comme traducteur-rédacteur à l’agence mondiale d’information Havas. En 1900, il rentre au pays, ayant publié à Paris (à compte d’auteur) deux ouvrages qui fonderont sa réputation d’essayiste, L’Avenir du peuple canadien-français (1896) et L’âme américaine (1900). Il devient un conférencier fort prisé, tout en travaillant comme fonctionnaire et publiciste au département des Terres de la Couronne. Souffrant d’une ataxie locomotrice progressive, il prononce des conférences à L’Institut canadien de Québec, dont l’une, « À propos de culture intellectuelle » (1903), constitue son chant du cygne, car il meurt trois ans plus tard à Central Falls, Rhode Island à l’âge de 44 ans.
Un siècle plus tard, cette conférence inédite fait l’objet d’une magistrale édition critique, préparée de longue main et présentée selon les règles de l’art. Elle sert également de prétexte à évoquer le contexte, notamment le climat politico-social et religieux dans lequel évoluait De Nevers. En textologue averti, Jacques Blais établit donc le texte, reproduit deux autres conférences avant-gardistes sur le même thème (une sur la lecture, datant de 1896, l’autre sur les décadents et les symbolistes en 1894), s’attarde aux stratégies d’écriture, ajoute une chronologie qui permet de suivre les traces de l’écrivain, joint des notes explicatives détaillées et complète le tout par une volumineuse bibliographie et un index. Cette étude perspicace éclaire des zones d’ombre chez ce « publiciste libre-penseur » et pourrait bien servir de modèle à suivre en textologie et en édition critique.