Comptes rendus

BOILY, Frédéric, La pensée nationaliste de Lionel Groulx (Sillery, Le Septentrion, 2003), 232 p.LUNEAU, Marie-Pier, Lionel Groulx. Le mythe du berger (Montréal, Éditions Leméac, 2003), 226 p.[Notice]

  • Michel Bock

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  • Michel Bock
    Centre de recherche en civilisation canadienne-française
    Université d’Ottawa

Il n’est pas facile d’interpréter l’intérêt considérable que suscite récemment Lionel Groulx parmi les chercheurs. Bien qu’il ne se soit jamais entièrement absenté de notre champ de vision, les études de son oeuvre se multiplient à un rythme étonnant depuis quelques années. En 2003, en même temps que le livre controversé de Gérard Bouchard (Les deux chanoines), deux autres ouvrages, ceux de Frédéric Boily et de Marie-Pier Luneau, ont été consacrés à ce personnage qui semble déclencher autant de débats et de polémiques dans la mort que dans la vie. La fascination que nous continuons d’éprouver pour le chanoine découle peut-être de la distance qui sépare les contemporains que nous sommes de sa tradition intellectuelle, à moins que cette distance, pour reprendre une hypothèse de Boily, ne soit moins grande qu’il n’y paraît. Autrement dit, si notre regard continue de se porter vers lui, est-ce dû à l’étrangeté ou, au contraire, à la familiarité de sa pensée ? Boily et Luneau nous proposent deux études originales et stimulantes – quoique fort différentes – de l’oeuvre de Lionel Groulx, le premier cherchant à réinterpréter les fondements et les implications de son nationalisme, la seconde préférant plutôt analyser sa contribution au développement de l’institution littéraire canadienne-française. Manifestement, tout n’a pas encore été dit sur le chanoine, bien au contraire. Après le livre de Jean-Pierre Gaboury (Le nationalisme de Lionel Groulx), publié il y a plus de trente ans, et celui de Bouchard, l’ouvrage de Frédéric Boily est le troisième à offrir une interprétation synthétique de l’idéologie de Lionel Groulx, qu’il étudie surtout à partir de son oeuvre publiée. Les résultats sont fort intéressants. L’auteur réfute la thèse (soutenue, notamment, par Esther Delisle) selon laquelle le nationalisme de Groulx serait une idéologie « racialiste » dans le sens strict, thèse qui, explique-t-il, nous empêche de prendre la mesure de l’influence qu’il exerce encore auprès des intellectuels du Québec. Bien qu’il ne faille pas nier la part (variable) de racisme et d’antisémitisme que pouvait contenir sa pensée, celle-ci aurait davantage convergé vers la conception « organiciste » et romantique de la nation qu’avait déjà développée le philosophe allemand Herder. Ainsi, la logique fondamentale du nationalisme de Groulx n’était pas « raciale » mais « culturaliste ». La nation groulxiste était analogue à un organisme ou à un être vivant et évoluait, depuis sa « naissance » à l’époque du Régime français, sous l’influence de l’environnement dans lequel elle s’était enracinée. Les premiers Français sont donc devenus, selon Groulx, des Canadiens français, évolution qu’une conception strictement raciale de la nation, en figeant dans le temps et à jamais ses caractéristiques, n’aurait pu admettre. Groulx, en dernière analyse, rendait l’appartenance à la nation canadienne-française tributaire de facteurs d’ordre culturel plutôt que racial ou biologique. En étaient membres ceux qui partageaient la tradition canadienne-française, où qu’ils fussent. Selon Boily, seule la « logique culturaliste herdérienne » permet de comprendre l’idéologie groulxiste. Dans un même ordre d’idées, l’auteur impute la xénophobie occasionnelle de Groulx, non pas à une forme quelconque de « racialisme biologique », mais plutôt à la difficulté qu’éprouvaient les Canadiens français, dans le contexte nord-américain, à assimiler les autres groupes ethnoculturels. Boily fait aussi le point sur plusieurs autres questions, dont le rapport entre catholicisme et nationalisme dans l’édifice conceptuel du chanoine. Bien que l’auteur qualifie d’emblée ce rapport d’« ambigu », il explique pourtant avec raison que la conviction de Groulx que les nations étaient de création divine venait effectivement résoudre l’antinomie qui pouvait exister entre culture et foi, entre le profane et le spirituel (on aurait voulu, toutefois, que …