Comptes rendus

BELLAVANCE, Marcel, Le Québec au siècle des nationalités. Essai d’histoire comparée (Montréal, VLB Éditeur et Marcel Bellavance, 2004), 256 p.[Notice]

  • Jean-Philippe Garneau

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  • Jean-Philippe Garneau
    Département d’histoire
    Université du Québec à Montréal

Le dernier livre de Marcel Bellavance aborde la question du nationalisme sous l’angle — décidément très en vogue — de l’histoire comparée. Se réclamant de l’essai, l’ouvrage entend replacer l’expérience québécoise dans le contexte occidental, surtout européen, au « siècle des nationalités ». L’auteur reproche particulièrement à l’historiographie « dominante » des Rébellions de ne pas avoir fait cet exercice et de proposer ainsi une lecture réductrice et négative de l’épisode patriote. Faisant du nationalisme un trait de la modernité à part entière, sinon fondamental, Marcel Bellavance présente la trajectoire québécoise comme un rendez-vous manqué avec l’Histoire. Le projet des Patriotes, indissociablement libéral et national, serait un exemple précoce du mouvement de libération nationale qui déferle sur l’Europe jusqu’à l’avènement de la Société des Nations. Mais, à la suite de l’échec des Rébellions, le nationalisme apolitique sur lequel se replie la « coalition cléricale conservatrice » apparaît d’autant plus marginal que les États-nations européens se multiplient après 1848 et que le droit à l’autodétermination des peuples triomphe en 1919. Cet abandon des revendications nationales, aussi précoce que singulier, cette adhésion à la « Confédération » et au paradigme de la survivance relèguent « […] la nation canadienne au rang de minorité ethnique […]  » (p. 208). La crise de la conscription lors de la Première Guerre mondiale montre encore une fois combien cette démission condamnait « […] le peuple à d’incessants combats pour le respect de droits bafoués et à une interminable souffrance identitaire » (p. 33). Voilà en gros la thèse défendue dans ce livre, dont une version préliminaire paraissait dans cette revue en 2000. Une bonne part de l’argumentation repose sur une approche comparée qu’il convient d’expliciter. L’auteur ne se contente pas de confronter la trajectoire québécoise aux mouvements nationaux européens pour en dégager un certain nombre d’éléments de convergence (chapitre 1). Il entend vérifier s’il existe plus qu’une « […] forte probabilité de filiation entre l’objectif d’autodétermination de nombreux peuples européens et la quête d’indépendance des Canadiens » (p. 206). Il examine donc les travaux d’historiens et de « quelques théoriciens » de la nation ou du nationalisme (chapitres 2 et 3), ce qui lui permet d’établir une grille d’analyse comparative. Il n’est pas certain cependant que ce « cadre référentiel » puisse servir à « […] quiconque entreprendrait une histoire comparée des nations et du nationalisme » (p. 146). Contrairement à ce que l’auteur laisse entendre, la nation et le nationalisme font l’objet, dans la littérature scientifique, de visions beaucoup plus contrastées, parfois même ontologiquement opposées. J’ai peine à croire, par exemple, que Benedict Anderson, évoqué au passage, serait d’accord avec l’idée que la nation soit un agrégat d’éléments constitutifs, objectifs, qui ne demandent qu’à être observés empiriquement, quitte à s’enquérir par la suite de l’existence d’une conscience nationale, l’autre dimension plus subjective de la nation (notamment p. 40, voir aussi p. 118 pour le cas bas-canadien). Cette tendance à minimiser la variété ou les divergences de conception de la nation ou du nationalisme me paraît affaiblir le projet scientifique de l’auteur qui s’évite ainsi de justifier plusieurs choix de conséquence pour la démonstration. Dans la même veine, le choix des comparaisons n’est pas anodin. Par exemple, les trajectoires du Nouveau Monde ne font pas partie de la discussion car, depuis 1760, seuls les Canadiens sont confrontés à la « domination étrangère », celle des « Anglais ». Marcel Bellavance juge donc plus pertinent d’examiner ces « peuples dominés ou dispersés de l’Europe [qui], l’un après l’autre, allaient accéder à l’indépendance » (p. 26). Non seulement des cas intéressants comme la Belgique sont assez rapidement écartés …