Comptes rendus

LAROSE, Karim, La langue de papier. Spéculations linguistiques au Québec (1957-1977) (Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2004), 451 p.[Notice]

  • Rainier Grutman

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  • Rainier Grutman
    Département de lettres françaises
    Université d’Ottawa

Voici un livre qui vaut le détour. Solidement argumentée, écrite dans une langue élégante, la contribution de Karim Larose au champ (pourtant déjà bien défriché, pour ne pas dire passablement labouré) des études sur le rapport langue-littérature au Québec est substantielle. De deux façons au moins, cette thèse de doctorat profondément remaniée vient très utilement compléter les travaux de Marie-Andrée Beaudet, Chantal Bouchard, Lise Gauvin et votre serviteur. Non seulement l’auteur accorde beaucoup d’importance à une période jusqu’ici négligée, les années 1950 et 1960, mais il le fait d’un point de vue neuf. Karim Larose entend en effet moins analyser la pratique langagière des écrivains dans leurs oeuvres, qu’interroger le discours qui accompagne cette pratique, notamment pour retracer « l’évolution globale des idées sur la langue au Québec » (p. 10), car il existe selon lui « une tradition proprement québécoise de réflexion sur la langue » (p. 9), tradition qu’on peut faire remonter à Henri Bourassa, Camille Roy et Lionel Groulx (p. 15), voire au-delà, à Octave Crémazie et Arthur Buies (p. 26). Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, conflit d’où l’anglais était sorti comme la langue des vainqueurs et de l’avenir, cette tradition refait surface, mais de manière radicalement différente, puisque « intellectuels et politiciens » (p. 16) s’inquiètent désormais du statut du français, autant sinon plus que de sa dimension esthétique. « Intellectuels et politiciens » : Larose insiste à juste titre sur le fait que les écrivains n’ont pas été les seuls ténors du discours épilinguistique (c’est-à-dire « sur la langue »). Sous ce rapport, le chapitre consacré aux chroniqueurs linguistiques et à leurs héritiers immédiats (Jean-Marc Léger, Raymond Barbeau, André d’Allemagne) est indispensable à une meilleure connaissance de l’histoire linguistique du Québec, tant la documentation sur laquelle il s’appuie est abondante et admirablement exploitée. Le chapitre suivant, consacré aux débats menés dans Parti pris et Liberté, met en lumière le rôle de précurseur discret qu’a pu jouer un Jacques Ferron. Quant au troisième chapitre, il fait un retour utile sur la crise du joual, réinterprétée à la lumière de l’évolution générale du discours sur la langue. Le dernier chapitre aborde deux figures jugées emblématiques de ce discours : Gaston Miron, bien entendu, mais aussi Jacques Brault, que l’on réhabilite ici comme penseur de la langue. Karim Larose s’est donné deux objectifs : 1) « dépayser des frontières trop bien tracées » dans l’espace public québécois comme dans le monde de la recherche lorsqu’il est question de la langue, 2) « introduire des lignes de désincorporation dans le corps de la théorie en aménageant autrement les concepts et objets à l’étude » (p. 9). De ces objectifs, le premier est le plus sûrement atteint : grâce au dépouillement d’un très grand nombre de textes de l’époque, dont plusieurs avaient sombré dans l’oubli, l’auteur non seulement nuance la périodisation en vigueur dans l’histoire littéraire québécoise, mais propose une mise en perspective souvent inédite, permettant de suivre pas à pas le développement de certaines idées clés. Le célèbre numéro de Liberté de mars-avril 1964 sur La lutte des langues, par exemple, n’apparaît ainsi plus comme un météore tombé du ciel, mais comme une suite logique du virage politique pris par le discours sur le français au Québec, dans le droit sillage de Jacques Ferron et de Parti pris (p. 145, 161). Quant au réaménagement des concepts, on saura gré à Karim Larose d’avoir souligné la place de l’imaginaire dans la réflexion sur la langue, perceptible notamment dans les « micro-récits existentiels » (p. 11) grâce auxquels les Ferron, Miron, Godin et autres Brault ont exprimé …