Comptes rendus

Décary, Jean, Dans l’oeil du Sphinx : Claude Morin et les relations internationales du Québec (Montréal, vlb éditeur, coll. « Études québécoises », 2005), 241 p.[Notice]

  • Nelson Michaud

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  • Nelson Michaud
    École nationale d’administration publique

De toutes les disciplines historiques, l’histoire contemporaine est probablement celle qui tend le plus de pièges, notamment parce qu’il est difficile de véritablement se détacher de son sujet d’étude. Lorsque le domaine est en plus celui de l’histoire politique, ces pièges sont accrus par la difficulté de situer l’analyse hors du cadre d’un débat idéologique ou partisan si l’on n’a pas recours aux outils que procurent les sciences sociales en général et la science politique en particulier. Ce double défi, Jean Décary a réussi à le relever dans son ouvrage portant sur certains aspects de la carrière de Claude Morin. Figure de proue du Québec de la Révolution tranquille, parfois énigmatique, souvent controversée, il est indéniablement l’un des artisans du Québec moderne. Il a d’abord été rédacteur de discours et conseiller du premier ministre Lesage, sous-ministre des Affaires fédérales-provinciales, puis des Affaires intergouvernementales au sein du gouvernement québécois. Universitaire de formation, il retourne à la Faculté pendant quatre ans, avant de briguer les suffrages, d’être élu, puis assermenté comme ministre en charge du ministère qu’il avait contribué à mettre sur pied. Désabusé par la tournure des événements diront certains, forcé à remettre sa démission, assureront d’autres, il quitte la politique et termine sa carrière en faisant bénéficier les étudiantes et étudiants de l’École nationale d’administration publique de sa vaste expérience des cercles décisionnels du gouvernement du Québec. C’est donc à un acteur de premier plan, à un bâtisseur que s’intéresse Décary. Plutôt que de vouloir tout embrasser, l’auteur a judicieusement choisi de concentrer son travail sur une seule partie de la carrière de Morin, soit celle qui a directement trait à l’établissement d’un rôle international affirmé pour le Québec. À l’heure où l’on cherche à redéfinir cette action internationale, une analyse historienne de ses fondements est assurément la bienvenue. Le hic, c’est que Claude Morin est lui-même un auteur prolifique et prolixe. Au moins trois de ses ouvrages portent en tout ou en partie sur le sujet auquel le présent essai s’intéresse (L’art de l’impossible, Mes Premiers ministres et Les choses comme elles étaient). Qu’est-ce que Décary peut nous apprendre de neuf ? Et, de façon plus intéressante, comment l’auteur a-t-il procédé pour présenter sous un jour nouveau une information généralement connue ? Du point de vue méthodologique, tout d’abord, il faut dire que Décary a respecté toutes les règles de l’art. Il a puisé aux sources usuelles (fonds d’archives, articles de journaux, documents officiels). Il a de plus complété sa recherche par une riche série d’entrevues et d’entretiens épistolaires auprès d’acteurs clés : Morin lui-même, bien sûr, mais aussi des collaborateurs proches qui travaillaient pour lui, avec lui ou pour qui Morin a travaillé ; on compte aussi des « paradiplomates » québécois, des auteurs d’analyse portant sur l’époque et des universitaires versés dans la question des relations internationales du Québec. Somme toute, malgré un certain nombre d’imprécisions temporelles que l’auteur aurait dû prendre soin d’éliminer, nous ne pouvons qu’être en accord avec Louis Balthazar qui, dans la préface de l’ouvrage, souligne qu’il s’agit d’une « étude fouillée », d’un texte « admirablement documenté ». L’ouvrage n’est toutefois pas sans failles. Du point de vue de l’historien, le manque de clarté de la problématique à laquelle l’auteur désire s’attaquer agace : le texte traite quasi indifféremment des relations internationales du Québec, de vie partisane, de référendum, de relations avec les services secrets de la Gendarmerie royale du Canada. Veut-on renforcer l’image du diplomate en tout et partout qu’était Claude Morin, le décideur prudent, le partisan des petits pas ? La piste est intéressante : si sa …