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Traduction : Christophe Réthoré
Au cours des vingt dernières années, l’abondance de recherche sur les descendants de couples mixtes européens/amérindiens a troublé des eaux historiques et culturelles autrefois plus claires. La plupart des chercheurs s’accordent sur la signification du terme Métis/Métisse, avec majuscule : celui ou celle qui s’identifie de manière consciente avec l’ethnicité émergente et distincte présente dans la région des Grands Lacs et de la rivière Rouge. A contrario, « métis/métisse » (avec minuscule) renvoie à celui ou celle dont le bagage ethnique et culturel est mixte, mais qui ne se considère pas comme appartenant à un nouveau groupe ethnique. Cependant, cette distinction devient moins claire avec chaque nouvelle étude publiée sur la langue michif, sur les rebellions de la rivière Rouge et du Nord-Ouest ou sur un individu ou une communauté en particulier. S’inscrivant dans le courant qui cherche à expliquer la complexité biculturelle, Nicole St-Onge, dans Saint-Laurent, Manitoba. Evolving Métis Identities, insiste sur la diversité des communautés Métisses, qui – selon l’auteure – ont suivi un développement économique, social et politique différent, déterminé par le contexte historique et culturel. Nicole St-Onge étaye son hypothèse avec l’exemple de la communauté du Saint-Laurent, sur la pointe sud-est du lac Manitoba. Contrairement aux Métis qui vivaient sur les bords de la rivière Rouge et de la rivière Assiniboine, la communauté du Saint-Laurent ne chassait pas le bison, elle n’avait pas de règles claires pour définir l’ethnicité Métisse émergente et, avec le temps, la complexité de ses activités économiques et de ses identités sociales s’est accrue.
Les colonies semi-permanentes établies le long des rives sud-est du lac Manitoba et constituées de descendants nés d’unions entre des femmes amérindiennes et des Canadiens français apparurent au cours du premier quart du xixe siècle. Au départ, ce sont des familles d’hommes libres qui faisaient du commerce dans les régions autour du lac Winnipeg qui y implantèrent des camps de pêche, à côté des familles ojibwés (Saulteaux). En 1818, une vague importante d’immigrants Métis arriva de Pembina, parce qu’ils ne souhaitaient pas vivre dans ce qui était devenu un territoire américain après l’établissement de la frontière au nord de leur communauté. Ensuite, une deuxième vague d’importance arriva à la suite de l’inondation de 1826, quand les réfugiés Métis de la vallée de la rivière Rouge décidèrent de rester. La subsistance dépendait de la productivité très élevée des activités de pêche, mais aussi de la chasse, de la cueillette, de la production de sel et du commerce. La traite des fourrures restait importante pour les habitants, qui se marièrent avec les femmes de la communauté ojibwé voisine.
Dans les 15 années qui suivirent la naissance de la confédération canadienne, les familles Métisses de la vallée de la rivière Rouge commencèrent à s’établir sur les rives du lac Manitoba pour y exploiter de nouvelles sources de développement économique, à cause de la diminution des troupeaux de bisons et de mauvaises récoltes. Les arpenteurs arrivèrent en 1872, mais les Métis échouèrent dans leurs tentatives de revendication territoriale collective en raison des revendications individuelles des immigrants Métis récemment installés. Les nouveaux immigrants renforcèrent la présence catholique à Saint-Laurent et la mission Oblate se transforma en paroisse. Les nouveaux colons avaient tendance à se marier avec des Métis qui vivaient aux alentours ou avec des habitants des colonies euro-canadiennes voisines, et leur style de vie se sédentarisa grâce aux cultures ou à l’élevage et grâce à la mise en place d’une activité de pêche commerciale. Les distinctions sociales et économiques entre les premiers habitants de la région de Saint-Laurent et les immigrants perdurèrent jusqu’au xxe siècle, renforcées par l’arrivée des colons québécois et bretons.
Au cours de la seconde moitié du xixe siècle, le terme Métis devint péjoratif. Les forces capitalistes et le racisme de l’idéologie européenne ancrée dans le darwinisme social atteignirent les berges du lac Manitoba pour y rester. La « métissité » fut alors associée à la pauvreté, aux conditions de vie misérables et au manque d’éducation scolaire, plutôt qu’aux racines historiques du terme. Les familles Métisses qui jouissaient d’une certaine prospérité commencèrent à mettre l’accent sur leur patrimoine culturel non amérindien, renforçant l’équation définitoire entre un facteur unique, à savoir la classe sociale, et l’identité Métisse.
Nicole St-Onge montre que l’identité est souvent situationnelle et mouvante, tout en étant toujours ancrée dans un contexte historique et culturel. Cet ouvrage est un complément excellent aux travaux déjà publiés sur les Métis. La recherche est impressionnante. Elle s’appuie sur un vaste éventail d’histoires orales et d’archives. Les interprétations portent aussi bien sur des familles individuelles que sur des tendances communautaires larges et explicatives. Enfin, les résultats sont bien contextualisés dans la recherche déjà publiée. Concise, rédigée dans un style accessible, étoffée d’une multitude de cartes, de graphes et d’images, la recherche de St-Onge est un choix judicieux pour un enseignant au premier cycle universitaire.