Note critique

NELLES, H. V., Une brève histoire du Canada (Montréal, Fides, 2005 [2004]), 330 p.[Notice]

  • Jocelyn Létourneau

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  • Jocelyn Létourneau
    Chaire de recherche du Canada en histoire et économie politique du Québec contemporain
    Université Laval

Dans un petit livre polémiste largement écorché par la critique, Jack Granatstein disait des historiens de sa génération qu’ils avaient littéralement démissionné devant le défi de rendre compte de l’expérience historique canadienne sur un mode global, comme quelque chose d’articulé, de cohérent et de progressif. Certes, il y avait des exceptions à cette apparente démobilisation canadianiste de la part des serviteurs de Clio. Desmond Morton, pour un, mais également Michael Bliss, Robert Bothwell et David Bercuson faisaient à cet égard office de véritables Christs sauveurs. De manière générale, toutefois, la tendance chez les historiens du Canada avait été de cesser de penser l’aventure du pays à partir d’une trame qui recentrait et accordait, autour d’un noyau historial dur, ce qui se présentait comme désagrégé, diversifié et séparé. Faute de s’acquitter de leur tâche de saisir le pays comme un tout cohésif et finalement harmonieux, ces derniers avaient, nolens volens, contribué à affaiblir et à affadir la nation canadienne — ce qui était inopportun sur le plan scientifique et dangereux sur le plan politique. On pourrait dire que, dans sa brève histoire du Canada, H. V. Nelles répond au défi de Granatstein de construire une représentation globale de l’aventure historique canadienne, mais en évitant de suivre les prescriptions étroites de l’ancien directeur du Musée canadien de la guerre. En 330 pages et dans un style magnifiquement rendu en français par les traducteurs de l’ouvrage, le titulaire de la Chaire d’histoire canadienne L. R. Wilson à l’Université McMaster brosse « le portrait d’un pays dynamique sans cesse en train de naître, de s’adapter et de se redéfinir » (4e de couverture). En apparence élogieuse à l’endroit de l’expérience du pays, cette dernière phrase ne doit pas induire le lecteur en faux sur l’esprit du livre. À l’encontre des voeux de Granatstein et consorts, Nelles ne conjugue pas l’histoire du Canada au temps du peuple unique, de l’unité nationale ou du projet canadianiste. Il refuse d’imposer au devenir du pays un canevas téléologique. Sa vision des choses est plutôt accueillante de la contingence historique. À ses yeux, la construction du Canada n’a pas obéi à un programme général. Son évolution n’a pas suivi un itinéraire objectif ou prescriptif ; et son avenir reste ouvert au point d’être imprédictible. Pour cerner l’objet canadien dans le temps, Nelles a d’ailleurs recours à une pléiade de termes, d’expressions ou de formules qui sont loin de présenter le pays sous les traits d’une entité dure, forte ou stable. De son récit, il ressort cette idée — paradoxale — qui veut que la volatilité, la mollesse et les dissonances qui marquent l’histoire du Canada depuis le début sont non seulement au coeur de l’historicité particulière du pays, mais qu’elles représentent pour lui une espèce de tonus induisant ses transformations successives dans le temps, lesquelles se sont révélées jusqu’ici heureuses plutôt que malheureuses. Selon Nelles, la force du Canada serait inhérente à ce que l’on diagnostique habituellement comme étant de l’ordre de sa fragilité. Autrement dit, l’absence de solutions définitives au pays ne serait pas la preuve de l’impossibilité à être du Canada, mais la condition de sa possibilité à devenir. Suivant cette interprétation, ce sont évidemment les Granatstein tout autant que les Bouchard qui sont confondus et congédiés. L’arbre articulant une véritable synthèse d’histoire tient bien sûr à la métaphore qui organise le récit ramassant la matière sans bord et sans limite du passé. L’image que Nelles utilise pour saisir, structurer et comprendre l’expérience canadienne est celle du « Masque de transformation » — un symbole emprunté à un peuple autochtone de la côte ouest du Canada …

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