Comptes rendus

CLAVETTE, Suzanne, Les dessous d’Asbestos. Une lutte idéologique contre la participation des travailleurs (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2005), 566 p.[Notice]

  • Jacques Rouillard

…plus d’informations

  • Jacques Rouillard
    Département d’histoire
    Université de Montréal

La plus célèbre des grèves au Québec, celle de l’amiante en 1949, n’arrête pas de susciter de l’intérêt, ayant même fait l’objet récemment de films documentaires, d’une série télévisée et d’un volume de la part d’Esther Delisle et de Pierre K. Malouf en 2004 (Le quatuor d’Asbestos). C’est évidemment la parution du livre dirigé par Pierre Elliott Trudeau en 1956, La grève de l’amiante. Une étape de la Révolution industrielle, qui a fixé l’événement dans notre mémoire collective. Les auteurs l’interprètent comme un « épisode clé d’émancipation sociale » du Québec, précurseur de la Révolution tranquille. Ce long conflit de travail marquerait l’affirmation de la classe ouvrière comme force autonome dans la société québécoise et témoignerait du passage d’une société traditionnelle à une société industrialisée. Cette interprétation mise de l’avant par les opposants au duplessisme dans les années 1950 et 1960 est toujours bien vivante, même si la recherche en histoire du Québec depuis les années 1970, notamment en histoire ouvrière, a montré qu’il s’agit en fait d’un mythe, toujours tenace cependant. Dans son livre, Suzanne Clavette ne se prononce pas à ce sujet ; elle s’attarde plutôt à étudier une facette de la grève presque complètement occultée dans le collectif de Trudeau, soit la revendication du syndicat exigeant que la compagnie lui soumette tous les cas de promotions, transferts et congédiements. Sa formulation a immédiatement braqué la partie patronale qui y a vu un esprit radical et révolutionnaire. Cette réclamation émane du projet de réforme de l’entreprise que de jeunes clercs catholiques mettent de l’avant au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et qu’ils répandent parmi les syndicats catholiques. Ces prêtres, influencés par des intellectuels européens, interprètent l’enseignement social de l’Église comme donnant droit aux travailleurs salariés de participer aux bénéfices, à la gestion et à la propriété de leur entreprise. Pour certains clercs, il y a même obligation morale des patrons de se conformer à cette directive. Comme on peut l’imaginer, le patronat au Québec a combattu farouchement ce courant de pensée parce qu’il y voyait une usurpation de son droit de direction et de propriété. L’opposition est venue notamment de l’Association professionnelle des industriels, une organisation patronale d’inspiration catholique fondée en 1943 pour répandre la doctrine sociale catholique chez les patrons. Le projet de réforme de l’entreprise est surtout diffusé par la Commission sacerdotale d’études sociales créée après la Deuxième Guerre et formée de prêtres chargés de conseiller les évêques du Québec sur les questions sociales. Le projet aurait pu avoir une portée limitée, mais il a eu le soutien d’évêques influents de 1948 à 1950 et il a coloré la lettre pastorale des évêques sur la condition ouvrière de 1950. Cependant, l’opposition des associations patronales catholiques au Québec et en Europe détermine le pape à prendre ses distances à l’égard de cette interprétation dans des allocutions en 1950 et 1952. Après consultation de Rome, l’évêque de Nicolet avise les membres de la Commission sacerdotale en 1953 de ne plus enseigner que les travailleurs ont un droit strict à la « plus-value » des entreprises. Ils en abandonnent alors la promotion tout comme les syndicats catholiques qui cessent de s’y référer. C’est le moment aussi où on assiste à un virage conservateur de l’épiscopat échaudé par la grève de l’amiante et les secousses engendrées par un groupe de jeunes prêtres soucieux de progrès social. Dans son livre, Clavette analyse avec force détails ce « conflit idéologique » à l’intérieur de la hiérarchie catholique mettant en relief l’affrontement entre catholiques sociaux progressistes et conservateurs. Issu d’une thèse de doctorat, l’ouvrage est très bien documenté, reposant …