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Le Québec et la Wallonie partagent certaines similitudes sur les plans linguistiques et culturels qui méritent une attention particulière de la part de quiconque s’intéresse aux dynamiques identitaires dans le monde francophone. L’ouvrage dirigé par Brigitte Caulier et Luc Courtois aborde ce sujet à travers l’appartenance commune des deux sociétés à ce qu’ils qualifient de « francophonies périphériques ». Les directeurs ont cependant fait le bon choix d’élargir l’exercice comparatif afin d’inclure des textes qui traitent, outre de l’affirmation identitaire et du fait francophone, des parcours culturels, économiques, politiques, religieux et même militaires de deux sociétés traditionnellement comparées avec la France plutôt qu’entre elles. Le livre est le fruit de deux colloques tenus à l’Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve) et à l’Université Laval en 2003 et 2004. Il rassemble une vingtaine de textes qui couvrent quatre siècles et touchent à des sujets aussi variés que les exécutions capitales, la bande dessinée et Vatican II. Le choix d’inclure un grand nombre de textes comporte le risque d’une qualité inégale, ce à quoi le présent livre n’échappe pas. Toutefois, si la rigueur ou l’à-propos de certains textes laissent à désirer, la plupart des contributions convainquent de la pertinence de pousser davantage les recherches comparatives sur les expériences historiques québécoise et wallonne. Une comparaison ne doit pas se limiter à souligner les similitudes et les différences entre les objets à l’étude. Elle doit aussi servir à éclairer sous un nouveau jour des débats localisés autour de questions précises et proposer de nouvelles avenues de recherche. Sans nécessairement secouer les idées reçues, le caractère prospectif de certaines réflexions et la diversité des propos recensés ici confirment cet adage.

Le livre se divise en quatre parties (espaces, sociétés, croyances et dynamiques identitaires), chacune rassemblant au moins un texte qui aborde la comparaison de front ainsi que quelques études de cas dont certaines, portant sur la Wallonie, suggèrent des comparaisons possibles et des parallèles frappants avec le Québec. C’est le cas notamment de l’analyse critique que fait Jean-Louis Jadoulle de l’enseignement de l’histoire au secondaire en Belgique francophone, soumis récemment à une réforme pédagogique d’inspiration socioconstructiviste préconisant l’approche par « compétences ». Historien, didacticien et directeur d’une collection de manuels (Construire l’histoire) conçue à partir des nouveaux programmes, l’auteur explique et décortique les aléas du passage de la théorie à la pratique dans l’enseignement de l’histoire. Malgré un langage parfois hermétique et un manque d’exemples concrets, ce qui ressort de l’approche préconisée par Jadoulle, et qui mériterait d’être approfondi davantage dans le contexte québécois, est la place prépondérante de l’analyse de documents (sources primaires et secondaires) dans l’enseignement de l’histoire en Belgique francophone. La réflexion de Jean Pirotte sur les rapports à l’altérité dans la construction de l’identité wallonne et l’étude que fait Yves Quairaux de l’imagerie populaire de cet Autre que constitue le Flamand pour le Wallon suggèrent aussi des pistes de recherche prometteuses pouvant alimenter la réflexion sur la construction historique de l’identité québécoise. Offrant des parallèles parfois équivoques, les textes de Caroline Sappia sur la formation des prêtres missionnaires à Louvain, de Gilles Routhier sur la place de Vatican II dans l’historiographie québécoise et de Serge Courville sur les discours québécois et britanniques sur la colonisation témoignent néanmoins de la richesse possible d’une réflexion qui sort du cadre national.

Quelques contributions plus audacieuses se soumettent à l’exercice souvent ardu de la comparaison. Le résultat est mitigé, certains textes atteignant leur cible tandis que d’autres laissent perplexes. L’étude d’un institut belge spécialisé en catéchèse (le Centre Lumen Vitae de Louvain) permet à Brigitte Caulier de déroger à ce qui constitue selon elle une tendance naturelle de l’historiographie religieuse à comparer l’expérience québécoise uniquement avec son équivalent français. D’une importance non négligeable, la contribution de la Belgique à la formation de plus de 200 catéchètes québécois sert à rappeler la diversité des sources d’inspirations idéologiques et pratiques des acteurs du monde religieux à l’aube de la Révolution tranquille. L’analyse de la formation au travail social de chaque côté de l’Atlantique au début du xxe siècle par Guy Zélis s’inscrit aussi dans une tentative de rapprochement entre les expériences wallonne et québécoise autour d’une problématique commune, quoique son analyse de la situation québécoise demeure relativement succincte et se fonde uniquement sur des sources secondaires. La tentative de comparaison qu’effectue Stéphanie Claisse des monuments commémorant les morts belges et ceux relatant la contribution militaire canadienne en Belgique durant la Première Guerre mondiale est, quant à elle, beaucoup moins solide. Une comparaison potentiellement riche se dérobe au profit d’une description efficace mais strictement parallèle des monuments. Le lecteur se questionnera en vain sur les similitudes et les différences dans la construction mémorielle de la Grande Guerre dans les deux pays, notamment au niveau identitaire. Dans une réflexion plus générale sur les projets de société des Wallons et des Québécois, Hubert Watelet rappelle avec justesse une différence fondamentale entre les deux collectivités qui constitue en quelque sorte une limite à la comparaison. Historiquement, les Wallons ne sont pas dominés sur le plan linguistique et culturel au même titre que peuvent l’être les Québécois francophones puisque la Wallonie fait partie d’un grand ensemble régional d’expression française. Étant donné la primauté de la langue dans l’affirmation identitaire québécoise contemporaine, on peut même se demander si la comparaison avec la Flandre ne serait pas plus utile à certains moments.

Cette limite à la comparaison d’ensemble des deux sociétés ne doit pas cependant être perçue comme un obstacle à l’exercice comparatif entrepris par cet ouvrage. Au contraire, les textes réunis ici témoignent de l’existence de nombreux points d’attache entre le Québec et la Wallonie. Cela confirme la pertinence pour l’historien du Québec de porter son regard au-delà du territoire national afin d’y soulever de nouvelles interrogations qui éclaireront davantage la complexité de son objet d’étude et élargiront le champ d’horizon des études québécoises.