Comptes rendus

WATSON, Alexander John, Marginal Man : The Dark Vision of Harold Innis (Toronto, University of Toronto Press, 2006), xii-525 p.[Notice]

  • José E. Igartua

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  • José E. Igartua
    Département d’histoire
    Université du Québec à Montréal

Harold Innis est probablement l’historien canadien le plus influent du xxe siècle. Principal apôtre de l’interprétation de l’histoire canadienne par le staple, ou produit générateur, Innis a également été un artisan du développement des sciences sociales au Canada. Il a contribué à la fondation du Canadian Journal of Economics and Political Science et à la formation du Canadian Social Science Research Council, l’ancêtre de l’actuel Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Il a été l’architecte des volumes canadiens de l’importante série Carnegie sur les relations entre le Canada et les États-Unis. Pilier des sciences sociales à l’Université de Toronto, Innis en a dirigé le département d’économie politique ainsi que l’École des études supérieures. Chercheur reconnu à l’échelle internationale, Innis participe au lancement du Journal of Economic History aux États-Unis et sera président de la Economic History Association. Au Canada, il collabore à trois commissions royales d’enquête. Au faîte de sa carrière, Innis entreprend, dans les années 1940, un ambitieux projet d’analyse de l’histoire des empires à travers les siècles en s’appuyant sur des concepts phares comme l’équilibre entre les forces du savoir et celles du pouvoir, et l’importance relative du temps et de l’espace dans chaque empire. Méfiant envers les idéologies importées de l’étranger et les discours convenus, Innis voit dans le développement de modèles d’analyse sociale tirés de l’expérience canadienne non seulement le salut des sciences sociales au Canada, mais également la seule manière de préserver la civilisation occidentale du déséquilibre entre savoir et pouvoir qui marque l’extension de l’empire américain au début de la guerre froide. L’imposante et fascinante biographie que consacre Alexander John Watson à Innis nous fait découvrir non seulement un chercheur remarquable, mais un homme passionné au destin tragique. Le marginal man du titre renvoie à la fois aux origines modestes de Innis, à sa situation de chercheur aux marges de la vie intellectuelle occidentale et à l’aliénation ressentie par Innis tout au long de sa vie face aux institutions et au pouvoir établi. Né dans le sud de l’Ontario d’une famille rurale d’origine écossaise et de confession baptiste, Innis a été poussé aux études par ses parents, qui voulaient susciter chez lui une vocation religieuse. Innis se sent marginalisé au cours de ses études secondaires et universitaires en raison de ses origines modestes et de la minceur de ses ressources financières. Il est par la suite marqué par la vie de soldat en France de 1916 à 1917 : un éclat d’obus lui inflige des blessures dont il gardera longtemps des séquelles physiques. Les séquelles psychologiques, selon Watson, hanteront Innis le reste de sa vie : l’absurdité de la guerre lui fait découvrir l’indécence de la propagande religieuse et impériale utilisée pour la justifier. Watson présente la carrière de Innis comme la poursuite d’un ambitieux projet, conçu dès le début de ses études. Ce projet, à la fois personnel, scientifique et politique, comporte trois phases. La première, celle de la formation personnelle, va des études secondaires à l’obtention d’un doctorat de l’Université de Chicago en 1921. Pendant cette phase Innis acquiert des outils intellectuels et prend conscience du statut colonial du Canada à l’échelle du monde intellectuel occidental. Sur le plan scientifique, Innis contribue au développement des institutions scolaires canadiennes et de la formation continue, notamment celle des anciens combattants. Dans la deuxième phase de son projet, Innis contribue au développement des connaissances sur le Canada par la recherche empirique, par l’expérience physique du terrain (les fameuses expéditions en canot le long des rivières de l’Ouest, reprenant le parcours des explorateurs et des commerçants de fourrures), et par des travaux …