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Passeur entre les cultures, Pierre Anctil poursuit depuis plusieurs années son oeuvre essentielle de traduction du yiddish au français. Ici, avec la traduction de ce dictionnaire biographique sur les différents auteurs canadiens ayant écrit en hébreu et en yiddish du xixe siècle à 1980, il dévoile au regard de l’historien tout un monde méconnu et disparu, un monde où la chaleur, la verve et la vie ont percé sous la plume.
En effet, le dictionnaire de Haim-Leib Fuks est l’un de ces monuments d’érudition à la fois fine et dense qui ont marqué la vie littéraire au Québec et au Canada. Publié originellement en yiddish en 1980, il comprend les biographies de 429 auteurs dont la majorité ont émigré des shtelt de Pologne, d’Ukraine, de Biélorussie et de Lituanie entre 1900 et 1950. Pour constituer ce dictionnaire, en les disposant selon l’ordre alphabétique hébreu, H.-L. Fuks a identifié 271 ouvrages en yiddish et 43 en hébreu, en plus de dépouiller 135 périodiques et journaux publiés dans ces langues. De ce travail de gaon – soit, dans la tradition ashkénaze, un rabbin d’une grande érudition et d’une piété exceptionnelle –, des figures émergent. La plupart sont peu connues, d’autres comme Jacob-Isaac Segal appartiennent au fleuron de la poésie yiddishophone mondiale, tous ont contribué à leur manière au foisonnement d’une culture riche et effervescente. Une culture politique vibrante, où les auteurs militaient pour le Poale-Zion, le Mouvement juif ouvrier socialiste ou le Bund. Une culture littéraire enthousiaste, où les poètes interpellaient les romanciers, les journalistes et les essayistes. De ce terreau généreux apparaîtront ensuite les Abraham Moses Klein, Irving Layton, Mordecai Richler et Leonard Cohen qui, dans d’autres langues, évoqueront ce monde perdu et pourtant si présent dans ses échos contemporains.
Enfin disponible en français, Hundert yor Yidishe oun Hebreyshe literatur in Kanade est un outil de travail précieux pour l’historien et le spécialiste en études littéraires, dont tout particulièrement ceux oeuvrant en histoire des migrations et des ethnies, ou encore en littérature migrante. C’est bien là son apport capital, qu’il importe de souligner avec reconnaissance.