Comptes rendus

MÉNARD, Sylvie, Des enfants sous surveillance. La rééducation des jeunes délinquants au Québec (1840-1950) (Montréal, vlb éditeur, coll. « Études québécoises », 2003), 256 p.[Notice]

  • David Niget

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  • David Niget
    Centre d’histoire du droit et de la justice
    Université catholique de Louvain

L’enfermement des enfants de justice occupe, dans l’histoire de la prise en charge de la jeunesse en difficulté, une place cruciale. D’emblée, l’on est tenté d’y lire l’aveu d’un échec, celui d’une société incapable de protéger ses jeunes générations autrement qu’en les retranchant de la communauté. Mais l’on comprend rapidement, à la lecture de l’ouvrage de Sylvie Ménard, que l’« école de réforme » constitue une étape centrale dans la lente spécialisation d’une politique de protection de la jeunesse. Seulement, cette marche n’est ni linéaire ni exempte de violences institutionnelles à l’égard des populations qu’elle vise. Cette étude, tirée d’une thèse de doctorat soutenue en 1998 à l’Université du Québec à Montréal, s’ouvre sur une analyse patiente de l’émergence des politiques de prise en charge de l’enfance délinquante, de l’Acte d’Union aux lendemains immédiats de la Confédération, un contexte politique qui en constitue l’arrière-plan déterminant. L’événement central en est l’ouverture, en 1857, d’une « prison de réforme » dédiée à l’enfermement des jeunes délinquants. Le propos se recentre ensuite sur une monographie institutionnelle : l’Institut Saint-Antoine, dont le nom d’« école de réforme » ne sonne plus comme un oxymore, ouvre en 1873 au coeur de la ville de Montréal et accueille jusqu’en 1909, à la veille du vote de la loi provinciale instituant la Cour des jeunes délinquants de Montréal, plus de 5000 garçons, prévenus et condamnés. Enfin, une dernière partie esquisse brièvement l’évolution dans la longue durée de ce paysage institutionnel jusqu’en 1950, date à laquelle une nouvelle législation provinciale marque une nouvelle rupture vers des procédés plus « éducatifs ». La réforme des politiques pénales à l’égard de l’enfance et de l’adolescence au Québec est traitée avec justesse selon une double perspective : d’une part, la genèse du projet réformateur dans la Pangée internationale que constitue le champ intellectuel philanthropique au xixe siècle et, d’autre part, le contexte politique spécifique au Bas-Canada – Québec dans lequel s’incarne la refonte de la justice des mineurs. On mesure tout d’abord à quel point les réformateurs canadiens sont au diapason des débats internationaux, recommandant de sortir l’enfant des prisons communes. Ce mot d’ordre, qui retentit dans tous les cercles réformateurs occidentaux à compter des années 1830, n’est pas un appel à l’indulgence envers les crimes juvéniles. Au contraire, on cherche à mieux en réprimer les effets délétères : moins mais mieux punis, véritablement rééduqués, les mineurs pourront être envoyés plus nombreux dans ces institutions de « correction », préparant un avenir politique stable aux nations démocratiques, et une richesse économique fondée sur l’utilité et la compétence de tous les travailleurs (p. 35). Mesure libérale, la « réforme » des jeunes délinquants rencontre également l’assentiment des mouvements conservateurs, qui y voient la garantie de maintien de l’ordre moral légitime, face aux aspirations au changement que pourraient susciter les mouvements de démocratisation et d’émancipation ouvrière qui traversent la période de transition au capitalisme. Consensuelle sur les principes qui la fondent, cette réforme prend cependant au Québec les voies de la querelle confessionnelle, comme le montre très bien Sylvie Ménard. La montée en puissance de l’Église catholique, à partir du milieu du siècle, suscite l’inquiétude des milieux protestants, qui préféreraient voir ériger un système d’écoles de réforme laïque, par lequel l’État garantirait un traitement équitable des enfants des deux communautés. Une décennie de tentatives infructueuses – à travers l’expérience de la prison de réforme fondée en 1857 – détourne le gouvernement provincial québécois de cette voie. Si le modèle britannique est retenu, instituant au Québec dès 1869 un système dual d’écoles de réforme – pour les jeunes délinquants – et d’industrie – …