Comptes rendus

Balvay, Arnaud, L’épée et la plume. Amérindiens et soldats des troupes de la marine en Louisiane et au Pays d’en Haut (1683-1763) (Québec, Les Presses de l’Université Laval, coll. « Intercultures », 2006), 345 p.[Notice]

  • Jean-François Lozier

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  • Jean-François Lozier
    Département d’histoire
    Université de Toronto

En publiant L’épée et la plume, Arnaud Balvay met à la disposition des lecteurs sa thèse de doctorat, soutenue en cotutelle à l’Université Laval et à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne en 2004. Partant du constat qu’entre la fin du xviie siècle et la Conquête, les troupes de la Marine et les Amérindiens entretinrent des rapports quotidiens autour des forts des Pays d’en Haut et de la Louisiane, l’étude apporte un éclairage original sur l’histoire des relations franco-amérindiennes. La question centrale qui intéresse son auteur « revient à se demander s’il existait ou non une forme particulière de solidarité entre soldats français et Amérindiens et si nous pouvons parler ou non de cohésion sociale au sein des sociétés des forts » (p. 16). L’ouvrage se divise en trois parties et dix chapitres, eux-mêmes abondamment subdivisés – l’effet est plutôt maladroit et force est de constater que l’étude aurait tiré profit d’un bon « déthèsage ». En première partie, l’auteur replace la société des forts dans son contexte historique en traçant le développement de la politique coloniale et en décrivant l’établissement de postes de traite, puis de forts militaires, dans les Pays d’en Haut et en Louisiane. Ces forts sont habituellement érigés à proximité d’un ou de plusieurs villages autochtones ; lorsque ce n’est pas le cas, ce sont les commandants qui invitent leurs alliés à s’établir dans les alentours. À l’aube du xviiie siècle, le ministère de la Marine inaugure une politique dite « de la forteresse » visant, au moyen d’un archipel de forts, à asseoir la souveraineté française sur l’intérieur du continent et à contrecarrer l’expansion anglo-américaine. En dépit des ambitions et des revendications françaises, les Amérindiens demeurent les véritables maîtres du territoire ; ils servent d’hôtes aux militaires. Les forts étaient des centres des relations franco-amérindiennes. Les deux parties restantes de l’ouvrage explorent les liens qui s’y tissèrent entre officiers, soldats et autochtones et montrent les structures de la « société des forts ». L’auteur prend soin de dresser l’inventaire des préjugés contre « l’Autre », véhiculés par les Français ainsi que par les Amérindiens. Cela dit, acculturation, métissage culturel et interdépendance sont ici à l’honneur. Aux chapitres diplomatique et militaire, les officiers et soldats des troupes de la Marine doivent se plier aux usages autochtones. Représentants du père Onontio, les commandants français s’imposent toutefois comme arbitres ; ils intègrent la chefferie et cherchent à la manipuler en distribuant des présents et des distinctions honorifiques (médailles, hausse-cols, commissions). Divers rituels d’adoption – dont le tatouage et le baptême – établissent et renforcent des liens de parenté fictifs et réels. Ceux-ci se nouent aussi dans l’intimité des liaisons amoureuses et sont solidifiés par les naissances qui en résultent. La traite des fourrures et les échanges quotidiens des produits de première nécessité contribuent eux aussi à rapprocher Français et Amérindiens. Les liens qui les unissent, solides dans l’ensemble, sont de temps en temps mis à l’épreuve. En effet, l’auteur constate que si certains forts affichent une cohésion sociale relativement solide (chez les Alibamons, les Natchitoches, les Arkansas et à Ouiatanon), ailleurs elle demeure particulièrement fragile (à Détroit, par exemple, où se côtoient plusieurs nations amérindiennes aux intérêts divergents ; ou bien chez les Natchez, où les Français s’approprient rudement des terres et encouragent l’endettement autochtone). L’influence de l’Autre transparaît, à des degrés variables, à peu près partout. N’empêche que les Amérindiens de la Louisiane et des Pays d’en Haut parviennent, en raison de leur poids démographique, à imposer leurs exigences culturelles beaucoup plus facilement que leurs voisins français. Aussi l’auteur conclut-il à « l’indianisation » des …