Note critique

L’incendie de Montréal en 1734 et le procès de Marie-Josèphe Angélique : trois oeuvres, deux interprétationsBeaugrand-Champagne, Denyse, Le Procès de Marie-Josèphe Angélique (Outremont, Libre Expression, 2004), 296 p.La torture et la vérité : Angélique et l’incendie de Montréal.  http://www.canadianmysteries.ca/sites/angelique/accueil/indexfr.htmlCooper, Afua, The Hanging of Angélique : The Untold Story of Canadian Slavery and the Burning of Old Montreal (Toronto, HarperCollins, 2006), 349 p. Traduction française : La pendaison d’Angélique : l’histoire de l’esclavage au Canada et l’incendie de Montréal (Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2007), 309 p.[Notice]

  • Evelyn Kolish

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  • Evelyn Kolish
    Université de Montréal

Par le biais du Dictionnaire biographique du Canada (DBC) et de mentions dans divers ouvrages, plusieurs ont fait connaître Marie-Josèphe Angélique, esclave noire appartenant à Thérèse de Couagne, veuve Francheville, condamnée devant la Juridiction royale de Montréal d’avoir causé l’incendie de Montréal en 1734. Jusqu’à récemment, les historiens qui ont mentionné ces événements ont simplement tenu pour acquis que le tribunal avait vu juste et que l’esclave était coupable. Ayant généralement eu d’autres objectifs d’étude que ce seul incident, ils ne se sont pas donné la peine d’analyser l’ensemble des documents judiciaires disponibles, se contentant de reprendre la sentence du Conseil souverain plutôt que d’évaluer la transcription complète du procès en première instance, à la Juridiction royale de Montréal. En 2004, cette tendance historiographique s’est renversée avec la publication de l’excellent ouvrage Le Procès de Marie-Josèphe Angélique qui dégage un portrait on ne peut plus clair et détaillé de l’événement et amène le lecteur à remettre en question la culpabilité d’Angélique. Par contraste avec ses prédécesseurs, Denyse Beaugrand-Champagne examine non seulement toutes les archives judiciaires qui sont, forcément, la source principale pour le procès, mais également une foule d’autres sources susceptibles d’éclairer les événements. Car l’objectif de l’auteure est de permettre au lecteur non spécialiste de prendre connaissance de tous les détails que les archives peuvent révéler sur l’incendie, sur son impact sur les habitants de la ville, sur le procès d’Angélique et sur tous les intervenants (des officiers de justice et administrateurs de la colonie jusqu’aux citoyens, témoins, accusés et autres). Rédigé par une des rares chercheures ayant lu l’ensemble des quelque 6400 dossiers de la Juridiction royale de Montréal, ce livre respire l’amour de l’archive et une connaissance en même temps large et profonde des sources archivistiques sur la Nouvelle-France. Dans un style agréable et accessible, Denyse Beaugrand-Champagne fait parler directement ses sources, transcrivant fidèlement dans un langage moderne non seulement l’ensemble des échanges entre juge et témoins mais aussi des actes d’assignation, de la correspondance officielle et privée, des journaux intimes, des actes notariés, des registres comptables, des actes d’état civil et ainsi de suite. Elle sait bien situer le lecteur dans le cheminement typique d’un procès criminel d’époque et dans les activités quotidiennes des officiers de justice de tout niveau. En même temps récit et enquête sur la solidité des arguments et des preuves qui ont servi à condamner Marie-Josèphe Angélique, ce livre présente tous les coupables potentiels et nous fait voir toutes les pressions publiques, administratives et privées qui, à l’époque comme de nos jours, peuvent donner lieu à des erreurs judiciaires. En effet, les preuves dans le procès sont tellement faibles et circonstancielles que le procureur doit à un moment suspendre les audiences et veut recourir à la torture pour extorquer une confession. L’apparition soudaine et tardive d’un témoin supposément oculaire, Amable Lemoine Monière, un enfant de quatre ou cinq ans, quelque quarante jours après le début du procès, permettra enfin au juge Raimbault et à ses conseillers de condamner l’accusée. Après avoir lu l’ensemble des témoignages et réfléchi sur les questions posées par l’auteure et les diverses possibilités qu’elle présente, peu de lecteurs trouveront les preuves convaincantes, d’autant plus que l’esclave n’a fait aucune tentative de fuite. Au contraire, elle a aidé à sauver les meubles de sa maîtresse et est restée tout près, dans le jardin de l’Hôtel-Dieu, durant la nuit. Il est permis aussi de douter de la véracité de l’aveu qu’on lui a arraché par l’application du supplice des brodequins. L’auteure laisse au lecteur le soin de décider lui-même qui est le coupable, bien qu’on devine qu’elle croie …

Parties annexes