Comptes rendus

Myers, Tamara, Caught. Montreal’s Modern Girls and the Law, 1869-1945 (Toronto, University of Toronto Press, coll. « Studies in Gender and History », 2006), 345 p.[Notice]

  • Marie-Aimée Cliche

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  • Marie-Aimée Cliche
    Département d’histoire, Université du Québec à Montréal

Dans ce livre au titre significatif (Caught, capturée), Tamara Myers se penche sur le sort des adolescentes prises dans les rets d’un système judiciaire destiné à les protéger malgré elles. Ce champ de recherche a déjà été défriché, notamment par Jean Trépanier et Jean-Marie Fecteau, mais madame Myers veut y ajouter les catégories d’analyse de classe, de race et surtout de genre, c’est-à-dire les règles sociales différentes selon le sexe des personnes. L’auteure distingue deux grandes périodes : l’ère des écoles de réforme (1869-1912) et celle de la Cour des jeunes délinquants (1912-1945). Son étude porte sur Montréal, première ville de la province à avoir disposé d’un tel tribunal, et se termine l’année où se produisent des incidents marquants dans deux écoles de réforme de filles. L’auteure commence par exposer l’élaboration du système de justice concernant les jeunes délinquants à partir des premières lois, au xixe siècle, jusqu’à la création de la Cour juvénile de Montréal. Elle souligne un trait distinctif de la province de Québec : c’est à des communautés religieuses que l’État confie le soin de ces jeunes. Pendant une quarantaine d’années, on se contente d’incarcérer les moins de 16 ans dans des lieux différents des prisonniers adultes et d’employer des méthodes de réforme axées sur la religion et le travail. Le chapitre 3 analyse le discours sur les jeunes filles modernes tenu de 1910 à 1945. À cette époque, un nombre grandissant d’adolescentes de la classe ouvrière entrent sur le marché du travail vers l’âge de 14 ans, et leur modeste salaire leur permet de profiter des loisirs commercialisés qu’offre la grande ville. Les réformistes et les experts sociaux appréhendent un glissement vers la prostitution, tandis que les ténors nationalistes s’inquiètent d’une indépendance qui mettrait en péril les valeurs familiales, fondements de la nationalité canadienne-française. La Loi de 1908, qui entraînera la création de la Cour des jeunes délinquants de Montréal (CJDM) quatre ans plus tard, considère ces jeunes non comme des criminels, mais comme des enfants en difficulté qui ont besoin d’une aide passagère. La méthode prônée est celle de la probation et du maintien de l’enfant en milieu familial, sous la surveillance d’un officier de probation (OP). Deux changements majeurs marquent cette nouvelle ère. D’abord, le rôle accru des femmes : au Québec, elle ne peuvent accéder à la fonction de juge comme dans le reste du Canada, mais elles s’impliquent à titre d’officières de probation, de membres des comités qui conseillent le juge et de directrices du Girls’ Cottage Industrial School. Ensuite, le caractère professionnel que prend le travail social accompli en ce domaine, notamment par la communauté juive de Montréal. À partir du chapitre 5, l’auteure exploite un échantillon de dossiers de la CJDM pour savoir quels critères servaient à classer une adolescente dans la catégorie « délinquante ». La comparaison des délits reprochés respectivement aux garçons et aux filles révèle la volonté des parents de contrôler la sexualité de ces dernières (la désertion, en particulier, est jugée plus grave pour les filles) et de maintenir leur autorité en exigeant d’elles la remise de leur salaire en plus de l’accomplissement des tâches domestiques. L’auteure analyse ensuite les rapports des OP pour reconstituer les expériences sexuelles des jeunes délinquantes (dont l’âge limite est porté à 18 ans en 1942) telles que racontées par les intéressées et interprétées par les OP en termes d’immoralité. C’est là que l’ambivalence entre les mesures de protection et de punition lui semble le plus évidente. Même si des filles sont victimes d’un abus sexuel, elles doivent absolument jouir d’une réputation irréprochable, confirmée par un hymen intact, …