Comptes rendus

GROULX, Patrice, La marche des morts illustres. Benjamin Sulte, l’histoire et la commémoration (Gatineau, Éditions Vents d’Ouest, 2008), 292 p.[Notice]

  • Ronald Rudin

…plus d’informations

  • Ronald Rudin
    Département d’histoire, Université Concordia

Traduction : Jean-Louis Trudel

Durant la dernière décennie, Patrice Groulx s’est taillé une niche à part dans la communauté des historiens québécois. D’abord, il est l’auteur de plusieurs ouvrages destinés principalement aux spécialistes, notamment Pièges de la mémoire. Dollard des Ormeaux, les Amérindiens et nous, largement encensé. En même temps, cependant, il a aussi oeuvré comme historien public. De sorte qu’il se décrit lui-même dans l’introduction du texte dont nous rendons compte « comme historien-conseil et semi-universitaire » (p. 16). La situation personnelle de Groulx est pertinente pour son exploration du rôle de Benjamin Sulte comme figure centrale dans la communauté émergente des historiens à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle au Québec. Bien qu’il eût passé la plupart de sa vie professionnelle comme bureaucrate à Ottawa, Sulte était profondément engagé dans de nombreuses activités destinées à présenter le passé au public, et ainsi il a connu – à sa manière –la tension qui existe de nos jours entre ceux qui sont engagés dans la « continuelle ambition de vérité du travail savant sur le passé » et ceux qui prennent part à « une amplification de la commémoration et du patrimoine » (p. 14). En formulant ainsi l’alternative, Groulx souligne les aspirations, sinon les succès, de ceux qui se consacrent à l’histoire afin de trouver la « vérité ». Les individus voués aux activités commémoratives ne se donnent pas nécessairement la même mission, et ils seraient capables de commettre « les abus de la mémoire » (p. 253). Il est cependant moins enclin à reconnaître « les abus de l’histoire », de sorte qu’il tend à croire les historiens sur parole quand ils prétendent rechercher une vérité unique et détourne le regard quand leurs efforts (tout comme ceux des commémorateurs) servent des intérêts particuliers. Ces questions débordent évidemment la carrière propre de Sulte, qui a débuté bien avant que l’histoire n’émerge en tant que discipline autonome après la Première Guerre mondiale. Néanmoins, Groulx tente de mêler Sulte à cette discussion des tensions plus conséquentes qui se matérialiseraient si on le tenait pour un adepte précoce de la méthode scientifique, particulièrement dans son chef-d’oeuvre, l’Histoire des Canadiens français, une somme en plusieurs volumes écrite dans les années 1880. Comme le dit Groulx, Sulte a produit des travaux fondés sur « une documentation faite de “miettes” tirées des archives, des miettes qu’il exploite selon une méthodologie minutieuse qui seule, estime-t-il, produira des résultats véridiques » (p. 239). Cependant, Groulx montre en même temps que Sulte ignorait les développements méthodologiques qui se produisaient en France à cette époque et qu’il présentait souvent ses « miettes » sans expliquer leur signification. Il n’y avait aucune raison pour que Groulx fît de Sulte un meilleur historien qu’il ne le fut ou que ce qu’on pouvait attendre à la fin du xixe siècle. Toutefois, si Sulte n’était pas vraiment en phase avec l’émergence, même timide, de la « nouvelle » histoire, en quoi peut-il être pertinent de l’associer au débat sur les tensions entre « histoire » et « mémoire » ? Ces questions mises à part, le compte rendu très lisible et soigneusement documenté des nombreuses activités historiques de Sulte procure des aperçus significatifs des mécanismes qui se mettaient en place pour présenter l’histoire, par divers moyens, au grand public. Dans le cas de l’Histoire des Canadiens français, Groulx discute de la relation entre Sulte et son éditeur à une époque où « l’histoire monaye bien » (p. 236). Le travail de Sulte était vendu en fascicules, procurant à ses éditeurs anglophones des profits significatifs, …