Comptes rendus

ST-HILAIRE, Marc, Alain ROY, Mickaël AUGERON et Dominique GUILLEMET, Les traces de la Nouvelle-France au Québec et en Poitou-Charentes (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2008), 308 p.[Notice]

  • Patrice Groulx

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  • Patrice Groulx
    Département d’histoire, Université Laval

Lorsqu’on le compare à plusieurs ouvrages d’histoire produits à l’occasion du 400e anniversaire de Québec, celui-ci ne se démarque ni par sa facture de « beau livre » (grand format, 100 articles brefs écrits par 45 collaborateurs, des centaines d’illustrations et cartes en couleurs), ni par son découpage, des plus classiques (cinq sections sur les territoires, les populations, l’économie, le pouvoir et la culture), ni parce qu’il paraît se situer dans la veine des atlas historiques du Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ), mais parce que son programme scientifique est modelé par un inventaire – consultable dans le site du CIEQ – conçu pour baliser et mettre en relation la mémoire commune d’une ancienne métropole et de sa colonie l’Amérique française et de la France, et parce qu’il imbrique une documentation habituellement plus compartimentée, notamment les documents d’archives, le sol, les voies de pénétration, les vestiges bâtis, la culture matérielle et les mémoires sociales. L’image d’ensemble qui en ressort est kaléidoscopique. En effet, les données de cet inventaire sont difficiles à synthétiser de manière satisfaisante, étant donné l’asymétrie des territoires comparés à la fois dans le temps et dans l’espace. Comme le soulignent les auteurs, le Québec et le Poitou-Charentes actuels ne sont que des fractions des territoires qu’ils sont censés représenter en Amérique du Nord et en France. Le Poitou-Charentes n’a fourni que 20 % des migrants en Nouvelle-France, ce qui accentue la disparité entre les deux territoires, et ce qui réduit à l’inverse l’impact réel et symbolique de cette région au Québec. Pour complexifier les choses, les mémoires que le Québec et la France entretiennent l’un de l’autre sont déséquilibrées : au Québec, la France est une référence de toujours ; pour la France, la Nouvelle-France est, au mieux, une expérience inaboutie. La force de l’ouvrage repose sur la richesse du filon mémoriel et sur la multiplication des pistes de recherche. Une ou un spécialiste trouvera sûrement à redire des raccourcis, de l’imprécision ou des erreurs que contiennent tel ou tel texte. Mais en retraçant les bribes de la mémoire à l’aide d’une pluralité d’approches – géographie, histoire, archéologie, généalogie, ethnologie, etc. –, en les creusant dans des travaux fouillés, puis en reliant ces fragments les uns aux autres, l’ouvrage produit un effet d’ensemble qui rappelle la puissance structurante des mémoires dans la reconstitution du passé, et la sécheresse du document traditionnel. On découvre l’existence en France, grâce à leur patrimoine bâti, de villes dont les attaches avec l’Amérique française sont plus fortes qu’on ne l’imagine, Rochefort par exemple. Les textes qui combinent la géographie et l’histoire – sur l’occupation du territoire et le système routier, par exemple – font ressortir l’action des hommes sur le modelé du paysage. L’ouvrage signale aussi le refoulement de la mémoire des minorités et des exclus, surtout les Amérindiens, les Acadiens et les protestants français. Plusieurs articles soulignent avec raison le rôle des associations de familles, de généalogistes ou d’amateurs d’histoire et de patrimoine dans la réhabilitation de la mémoire. Ce livre illustre donc la fécondité d’une approche interdisciplinaire autour de concepts porteurs. Ici, c’est celui de « lieu de mémoire » qui a été retenu, mais dans une acception réductrice de la notion développée par Pierre Nora. En ne retenant que le sens banal du terme – le lieu physique, connoté par un bâtiment ou par une plaque commémorative – la base de données ne rend pas compte d’autres formes ou encore d’autres étagements de la mémoire. Les auteurs ont très bien vu les difficultés causées par ce malentendu conceptuel puisqu’ils ont cherché à le corriger en soulignant les formes du …