Comptes rendus

LEVER, Yves, Anastasie ou la censure du cinéma au Québec (Sillery, Septentrion, 2008), 323 p.[Notice]

  • Marc-André Robert

…plus d’informations

  • Marc-André Robert
    Département d’histoire, Université de Sherbrooke

Yves Lever est un de ces chercheurs qui ne cesse de faire mentir ce préjugé voulant que le titre d’historien n’appartienne qu’aux universitaires issus des départements d’histoire. Théologien de formation – il se spécialise d’abord et avant tout dans le rapport qu’a entretenu l’Église catholique avec le cinéma au Québec – Lever est devenu, au fil du temps, un spécialiste en histoire du cinéma québécois, mais surtout, un réel historien du cinéma. Depuis quelques années, il s’intéresse à l’histoire de la censure cinématographique. Or, dans le cas du Québec, on ne peut faire l’histoire de la censure au cinéma sans passer par l’histoire de l’Église catholique. Après s’être joint à Pierre Hébert et Kenneth Landry pour la rédaction du très impressionnant Dictionnaire de la censure au Québec : littérature et cinéma (Fides, 2006) – il a naturellement dirigé le volet cinéma – il renchérit avec Anastasie ou la censure du cinéma au Québec, qui se veut un complément, voire un prolongement de ce premier travail. Alors que le Dictionnaire de la censure est principalement descriptif, constitué de petits articles dressant un portrait global, mais synthétique des cas de censure littéraire et cinématographique au Québec, des principaux événements ou documents qui leur sont rattachés, des personnes qui l’ont exercée et des institutions ou organismes impliqués, Anastasie est une monographie historique à travers laquelle son auteur raconte l’histoire de la censure du cinéma au Québec, explorant son contexte de matérialisation aux différentes époques depuis son apparition. D’autres travaux ont déjà été publiés sur la censure cinématographique, comme le livre de Telesforo Tajuelo et Nicole Boisvert (Libre Expression, 2006), mais celui de Lever se démarque par sa démarche historienne qui se veut, autant que possible, impartiale. Dans Anastasie, Lever a cherché à connaître les multiples conditions ayant permis ou empêché le public québécois d’avoir accès aux films depuis les premières projections au milieu des années 1890. Il a voulu savoir quelles furent les raisons invoquées, les personnes y ayant contribué et l’état des transformations qu’ont dû subir les films par l’action de la censure. D’emblée, il soutient que c’est par une action concertée entre le pouvoir de l’État et le pouvoir religieux que la censure cinématographique s’est affirmée puis confirmée, surtout jusqu’au début des années 1930. Cette « structure totalitaire », comme le mentionne Lever, qui s’incarne véritablement à travers le Bureau de censure des vues animées de la province de Québec, s’est maintenue en grande forme, puis raffermie pendant le règne de l’Union nationale de Maurice Duplessis, pour finalement s’effondrer à la suite de l’arrivée des libéraux de Jean Lesage en 1960. Pour cet ouvrage richement illustré, qui jouit d’ailleurs d’un superbe travail d’édition, Lever s’est évertué à dépouiller plusieurs journaux et revues (La Presse, La Patrie, Ciné-orientations, Le monde ouvrier…), les débats parlementaires de l’Assemblée législative, l’ensemble des procès-verbaux du Bureau de censure ainsi que plusieurs rapports gouvernementaux. Le travail de recherche est colossal et très bien mené. On sent la parfaite maîtrise des sources chez l’auteur. Au surplus, ces sources sont abondamment utilisées et identifiées. Lever divise son ouvrage en sept chapitres qui offrent un parcours chronologique de l’histoire de la censure cinématographique au Québec, de 1896 à 2007. Cette segmentation suit à la fois les grandes lignes de l’histoire politique québécoise contemporaine et l’histoire du Bureau de la censure des vues animées, créé en 1913, qui devient le Bureau de surveillance du cinéma en 1967, puis la Régie du cinéma du Québec en 1983. L’auteur explore le contexte de mise en place de la censure, du côté de l’Église catholique et du gouvernement québécois. Il donne …