Comptes rendus

THÉRIAULT, Joseph Yvon, Anne GILBERT et Linda CARDINAL, dir., L’espace francophone en milieu minoritaire au Canada. Nouveaux enjeux, nouvelles mobilisations (Montréal, Fides, 2008), 562 p.[Notice]

  • François Charbonneau

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  • François Charbonneau
    École d’études politiques, Université d’Ottawa

Cet ouvrage collectif est en quelque sorte la suite du livre Francophonies minoritaires au Canada, l’état des lieux, paru en 1999. Alors que le premier ouvrage était davantage descriptif, les 12 textes que comporte ce livre offrent une réflexion poussée et ambitieuse sur les principaux enjeux auxquels font face les francophones du Canada vivant à l’extérieur du Québec. Disons-le franchement, le portrait brossé par les auteurs est plutôt sombre : malgré les importants gains réalisés par les francophones depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, la francophonie canadienne affronte toujours d’importants défis, qu’il s’agisse des transferts linguistiques, de l’acculturation ou encore du déficit démocratique. Le coup d’envoi est donné par Anne Gilbert qui interroge de manière exhaustive le concept de vitalité des communautés francophones en situation minoritaire. L’auteure s’intéresse d’abord au concept, avant de déterminer si, effectivement, l’on peut attribuer ce qualificatif aux communautés francophones du Canada en situation minoritaire. Le concept de vitalité renvoie à la capacité des communautés de survivre et de s’épanouir. Tout en reconnaissant l’ambiguïté du concept, l’auteure montre de manière satisfaisante qu’un ensemble de critères (nombre et poids relatifs des locuteurs, engagement communautaire, nombre et dynamisme des acteurs et des institutions, et ainsi de suite) permet effectivement de jauger non pas quantitativement, mais de manière qualitative, de la vitalité d’un groupe en situation linguistique minoritaire. L’angle d’approche de Gilbert pour appréhender cette vitalité est de s’intéresser aux espaces (géographiques, bien sûr, mais aussi « relationnels », comme les réseaux) dans lesquels se déploie la francophonie. L’intérêt de cette contribution est double. Il s’agit d’abord d’une extraordinaire synthèse de l’ensemble des enjeux (et travaux de recherche) liés à la présence et à la pérennité des communautés linguistiques en situation minoritaire. Gilbert s’intéresse tout particulièrement au rapport complexe qui lie individu et communauté dans la pérennité linguistique de l’un comme de l’autre. Cette contribution est digne d’intérêt, ensuite, si on replace ce texte dans l’ensemble de l’oeuvre intellectuelle de la géographe. Jamais ses conclusions n’auront en effet été aussi sévères : « les communautés francophones ne bénéficient plus aujourd’hui des conditions nécessaires pour achever l’espace que l’histoire leur a légué » (p. 9). Dans une perspective sociolinguistique cette fois, Devault, Allard et Landry se penchent eux aussi sur la question de la vitalité. Ceux qui s’intéressent à la francophonie en situation minoritaire connaîtront déjà les principales conclusions de ce texte puisque ces auteurs sont devenus au fil du temps une référence dans l’étude des comportements langagiers au Canada. Le lecteur qui ne connaît pas ces travaux y découvrira une bonne synthèse. Les autres n’y apprendront rien de bien nouveau, si ce n’est qu’ils constateront que les auteurs en sont maintenant à l’étape du fine tuning, avec l’introduction de concepts (vécu enculturant, vécu autonomisant, etc.) qui visent à préciser davantage la manière et les processus qui président à la formation de l’identité ethnolinguistique. La principale thèse des auteurs est que le comportement langagier d’un individu dépend largement de sa socialisation (pourcentage de membres du groupe endogame vivant dans la même région, complétude institutionnelle, et ainsi de suite), mais que cette socialisation n’est pas un déterminisme puisque l’individu « est aussi le produit d’une construction autonome et personnelle » (p. 74). Si les auteurs, grands statisticiens devant l’Éternel, sont tout à fait convaincants en ce qui a trait au processus de socialisation, la démonstration des phénomènes relevant de la construction autonome et personnelle est plus ardue. Le problème ne réside évidemment pas au niveau de l’analyse que proposent les auteurs, souvent intuitivement convaincante, mais de la difficulté de la démonstration elle-même, beaucoup plus ardue …