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Débat autour de l’article de Thierry Nootens sur l’utilisation du concept d’identité en histoireÀ quoi servent les concepts ? Réplique à Thierry Nootens[Notice]

  • Jacques Beauchemin

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  • Jacques Beauchemin
    Département de sociologie, Université du Québec à Montréal

Dans une récente contribution à la Revue d’histoire de l’Amérique française, Thierry Nootens s’en prend à la notion d’identité afin d’en démontrer l’inutilité. Reprenant pour l’essentiel la critique que Brubaker et Cooper adressent à cette notion, Nootens en arrive à la conclusion que, sauf exceptions, elle sert mal les finalités que poursuivent les sciences humaines et l’histoire en particulier. Il met alors en cause la « pertinence heuristique », le « potentiel scientifique » et le caractère « fourre-tout » (p. 36) de cette notion dont on conviendra avec lui qu’elle est en effet à la mode. Je voudrais aborder quelques aspects de cette critique dans cette très brève réaction à la position qu’adopte Nootens. Étant en partie visé par cette critique, je voudrais d’abord rétablir certains faits concernant l’ouvrage qu’incrimine l’auteur. Je dirai dans un instant que sa critique à mon endroit me paraît mal fondée tant sur les plans théorique que sur celui de l’analyse proprement sociologique des sociétés contemporaines. Mais je voudrais également souligner, qu’au-delà de la démonstration de ce que seraient les insuffisances conceptuelles de l’idée d’identité, la critique de Thierry Nootens a le grand mérite de susciter une réflexion plus fondamentale portant sur les motifs de cette apparente impuissance dans laquelle se retrouvent les sciences sociales de « théoriser » la société, au sens où ont pu le faire, par exemple, le matérialisme historique ou le fonctionnalise américain en des temps plus anciens. Si j’ai raison d’imputer à la crise des sciences sociales une certaine impuissance théorique, cela signifie que je ne serai pas moi-même en mesure de proposer, au terme de mon commentaire, une définition conceptuelle forte et bien argumentée de la notion d’identité. J’aurai au moins essayé de dégager les conditions à l’intérieur desquelles il serait possible de parvenir à une telle définition. La critique tient pour l’essentiel au fait que le concept d’identité est « potentiellement sans limites » et qu’il peut dès lors convenir à la description de regroupements d’acteurs et de phénomènes sociaux très divers. Le concept constituerait donc un fourre-tout. Mais il y a plus grave. Le recours à la notion imprécise d’identité occulterait le fait que la société est structurée dans le cadre de « processus institutionnels » qui la déterminent pour ainsi dire d’en haut et sur lesquels les acteurs « n’ont pas de prise ». On ne peut que suivre Nootens sur cette question. Il est vrai que les sciences sociales tendent à déserter la théorie générale de la société au profit de l’étude d’objets particuliers dont on postule alors qu’ils synthétisent dans leur spécificité des réalités sociologiques qui les dépassent, ou encore que de leur cumul ou de leurs interactions s’engendreraient institutions et structures gouvernant les rapports sociaux. En d’autres termes, nous assistons à ce retournement de perspective qui veut que l’analyse de l’objet précède maintenant la théorie générale qui avait autrefois pour tâche de l’expliquer. La critique de Thierry Nootens se porte donc à la défense d’une théorisation de la société dans laquelle domineraient l’objectif sur le subjectif, l’universel sur le particulier, l’institution sur l’acteur, la pratique sur le discours et, on pourrait ajouter, puisque l’auteur est historien, l’histoire sur la mémoire. La question consiste bien sûr à savoir pour quelles raisons les sciences sociales tendent à délaisser la théorisation des grands procès d’institutionnalisation de la société au profit d’une lecture opérant par le bas et se donnant l’acteur et l’interaction sociale pour objet et, ce qui est bien plus lourd de conséquences, comme théorie de la société. J’aurai l’occasion dans un instant de proposer une explication de ce phénomène. Une chose m’apparaît …

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