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Attendu depuis quelques années, cet imposant ouvrage sur l’Histoire de Montréal et de sa région arrive à point nommé. En effet, depuis le dépôt en 2011 du Plan métropolitain d’aménagement et de développement de Montréal (PMAD) par le conseil de la Communauté métropolitaine de Montréal, la région métropolitaine suscite un intérêt inattendu comme si l’on découvrait tout à coup son existence. Par contre, compte tenu des multiples thèmes abordés et de la qualité de cette oeuvre collective, il est assez étonnant que cette synthèse historique réalisée par des chercheurs de l’Institut national de la recherche scientifique soit passée presque inaperçue jusqu’à maintenant.

Fort bien structurée en 3 parties regroupant 35 sections, ces dernières se déclinant en chapitres, et abondamment documentée, cette synthèse présente par certains côtés un caractère encyclopédique. C’est le cas, notamment, des exposés touchant les sciences sociales : tous les aspects, ou presque, y sont abordés. Si les sujets de plusieurs sections ont été traités par un seul auteur, comme c’est le cas dans la Partie I portant sur la « Population autochtone et colonisation européenne des origines à 1796 » dont cinq des sept sections constituent l’apport érudit de Roland Viau, la plupart des autres ont été défrichés par des chercheurs différents, soit seul ou en duo ou trio. Malgré cette abondance d’intervenants, plus d’une trentaine, il y a heureusement peu de répétitions dans l’ensemble, grâce sans doute à la vigilance du responsable de cet ouvrage, Dany Fougères. La présentation d’une courte biographie de chacun de ces chercheurs aurait cependant permis de mieux cerner leur champ de compétence.

Des illustrations, tableaux, figures et encadrés jouent un rôle majeur dans la compréhension de plusieurs de ces exposés. Ainsi pour celui portant sur « Les banlieues de l’immigration ou quand les immigrants refont les banlieues », sujet dense et complexe approfondi par Annick Germain, Damaris Rose et Myriam Richard, la succession des cartes montrant au cours des décennies la partie de la population immigrante dans la population totale selon les secteurs de recensement de la région métropolitaine favorise une compréhension synthétique de cette réalité plutôt difficile autrement à cerner. Par contre, à cause de la qualité moyenne du papier, certaines illustrations sont décevantes. Par exemple, il est ardu de faire la lecture des pages extraites du traité de la Grande Paix de 1701 (p. 162) tout comme il est difficile d’apprécier le plan de Montréal de Plunket et Brady (p. 419) pour la « finesse de son trait et du détail », alors qu’en partie celui-ci prend l’aspect d’une tache d’encre !

Certains exposés sont particulièrement bien réussis. C’est le cas de « Montréal économique : de 1930 à nos jours » de Mario Polèse, lequel décrit le déclin de Montréal comme centre des transports maritimes, ferroviaires et aériens et sa renaissance en cours dans l’économie tertiaire. D’autres le sont grâce à la vivacité du style, tel celui de Daniel Latouche détaillant l’émergence de 1920 à 1960 d’une modernité culturelle urbaine. Enfin ceux de Guy Bellavance et de Christine Poirier, qui abordent avec maîtrise et subtilité le « Champ culturel et l’espace montréalais », suscitent particulièrement l’attention concernant l’évolution à venir de l’identité montréalaise.

C’est sans doute inévitable que dans une synthèse aussi vaste on y trouve quelques analyses qui auraient gagné à être plus approfondies, telles celles du chapitre portant sur les fusions forcées de l’an 2000. Jean-Pierre Collin et Laurence Bherer perçoivent principalement dans la crise qu’ont suscitée ces fusions la persistance d’un attachement traditionnel aux bourgs d’origine. C’est bien davantage, selon nous, le rapport différent à la communauté et à la municipalité locale chez les francophones et les anglophones qui fut en cause, comme ces mêmes auteurs en font état dans une autre section de l’ouvrage. Montréal, qui héberge depuis deux siècles et demi deux cultures majeures, constitue sur ce point une agglomération unique en Amérique du Nord. Rares sont en effet les villes qui, à l’exemple de Barcelone, Bruxelles, Prague ou Trieste, ont un pareil héritage culturel. Mais il s’agit là aussi de villes aux vécus complexes et aux tensions séculaires. La faillite coûteuse des fusions forcées dans l’île montréalaise ne constitue, sous cet aspect et sur le plan analogique, qu’une répétition contemporaine des Défenestrations de Prague aux siècles précédents.

Ce qui est le plus à regretter dans cette synthèse historique, c’est le peu d’attention portée aux formes urbaines et à l’architecture, particulièrement l’architecture vernaculaire. Encore là, Montréal est unique sous ces aspects sur le continent. Cette coexistence de deux cultures s’est traduite notamment par la présence en parallèle de places publiques minérales et de squares plantés et a donné naissance à des créations contemporaines originales à l’exemple de la place Jean-Paul-Riopelle. Plusieurs paysages urbains fondateurs de l’identité montréalaise sont d’ailleurs issus de cette « mixture » culturelle comme en témoignent les habitations types du Plateau Mont-Royal associant à l’architecture résidentielle géorgienne des éléments d’architecture rurale québécoise. Que dire des caractéristiques de l’aménagement du Vieux-Port, ce lieu le mieux approprié de tous les vieux ports de la côte est américaine ? Et que penser de la ville souterraine, la plus développée du genre au monde, et qui constitue un véritable paradoxe pour son mélange de qualités et de défauts, mais un paradoxe drôlement performant comme l’ont signalé plusieurs observateurs étrangers ? Quels sont les traits culturels propres aux Montréalais qui ont permis la réalisation de ces lieux uniques ?

À la fin de la lecture de cet important ouvrage, on a le sentiment que l’essence de la réalité montréalaise déborde largement l’histoire de son cadre régional. Pour le nombre impressionnant d’éléments qui la distinguent du Québec comme tel, et cela en dehors de la question linguistique proprement dite, on a nettement l’impression que Montréal et sa région possèdent l’essence d’une province !