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Cet ouvrage, produit en complément de l’exposition « La rue Sainte-Catherine fait la une » du musée Pointe-à-Callière, relève un défi de taille : aborder l’histoire d’une ville à travers une de ses principales artères. La diversité des approches et des thèmes parmi lesquels l’auteur a dû choisir est intimidante, et il est parfois difficile ou impossible d’isoler l’histoire de la rue de celle de la ville. La démarche n’est pas sans précédent. Par exemple, Pierre Anctil l’a entreprise en collaboration avec le même musée en 2002 à propos de la rue Saint-Laurent. Le résultat n’en demeure pas moins intéressant et divertissant. Il faut d’ailleurs le souligner, on a affaire à un ouvrage qui s’adresse au grand public, mais qui saura satisfaire le spécialiste.

D’abord, sur le plan de la forme, l’ouvrage est imprimé sur un papier glacé de qualité, qui rend justice aux nombreuses illustrations qui parsèment ses pages. Photos et gravures d’époques, cartes et plans, reproductions de publicités ou de documents manuscrits, peintures, objets provenant de l’exposition : le lecteur a l’occasion de découvrir mille et une facettes de la rue Sainte-Catherine comme théâtre de la vie urbaine. L’ouvrage compte également un grand nombre d’encarts informatifs dont la majorité a été rédigée par les collaboratrices de l’auteur : Geneviève Létourneau-Guillon et Claude-Sylvie Lemery. S’arrêtant sur un personnage, un lieu ou un événement important, citant des sources ou des oeuvres de fiction, ces encarts appuient bien le propos de Paul-André Linteau.

Combinant les approches chronologiques et thématiques, il adopte une structure qui sied bien à l’objet d’étude. Dans un premier chapitre, qui va du milieu du XVIIIe siècle à la fin du suivant, il s’arrête sur le processus complexe qui a mené à l’ouverture de la rue Sainte-Catherine, aux techniques qui ont été utilisées pour la moderniser et sur les caractéristiques initiales de ses différents tronçons. Ici et ailleurs dans l’ouvrage, Linteau ajoute une dimension géographique à sa réflexion en nous donnant un aperçu d’est en ouest des différents visages de la rue Sainte-Catherine à une période donnée. Et cette diversité, importante dès le début du XIXe siècle, ira en s’accentuant.

Les trois chapitres suivants traitent tous de l’âge d’or de la rue Sainte-Catherine (qui correspond grosso modo à l’âge d’or de Montréal comme métropole canadienne), qui va de la fin du XIXe siècle au début des années 1960. Chacun des chapitres couvre une des trois principales vocations qu’adopte l’artère après ses débuts principalement résidentiels. La première de ces facettes est la rue Sainte-Catherine comme « paradis du magasinage ». On y suit l’apparition et le développement des premiers grands magasins montréalais. L’auteur en profite pour aborder plus largement l’évolution de la mode et des pratiques de consommation, des développements qui caractérisent les autres chapitres de l’ouvrage et qui, tout en nous éloignant parfois de la rue Sainte-Catherine, n’en sont pas moins toujours pertinents. Le troisième chapitre se penche plutôt sur l’émergence d’un nouveau centre-ville dont l’axe central est la rue étudiée. Linteau y aborde cette transformation importante de la géographie montréalaise, mais également la transformation des pratiques d’affaires et des activités manufacturière, l’évolution de l’architecture et l’émergence des premiers gratte-ciel ainsi que le développement des transports en commun. Le troisième de ces chapitres thématiques, et le plus coloré, traite de la rue Sainte-Catherine comme espace de divertissement. Théâtres, cinémas, cafés, restaurants et boîtes de nuit deviennent les espaces d’une vie nocturne animée dont l’auteur couvre les principales facettes.

Le dernier chapitre de l’ouvrage couvre les trois dernières décennies du XXe siècle et la première du suivant. Cette période difficile pour Montréal, qui perd son statut de métropole canadienne, l’est doublement pour l’artère qui était une des vitrines de ce prestige. Parcourant de nouveau l’artère d’ouest en est, Linteau fait état de ce déclin, mais également des différentes formes que prend la relance de la rue Sainte-Catherine et du succès variable de ces opérations.

Le spécialiste de l’histoire montréalaise n’apprendra probablement rien de nouveau dans cet ouvrage, mais il y trouvera une synthèse efficace de l’histoire de la rue Sainte-Catherine, renseignée par les plus récents développements de l’historiographie montréalaise. L’auteur fait d’ailleurs référence à certains de ces titres et l’ouvrage est doté d’une bonne bibliographie sélective. Le grand public, au contraire, aura l’occasion de découvrir le passé riche et complexe d’une rue qui est, comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage, au coeur de la vie montréalaise.