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J’avais bien hâte de lire l’ouvrage de Richard Gauthier : avec toutes les discussions et colloques entourant la question brûlante du patrimoine religieux, une réflexion de fond, un livre sur l’évolution de l’art d’église au Québec depuis 1985, était des plus bienvenus. D’autant qu’il s’agit d’une thèse de doctorat dirigée par Claude Bergeron, qui a publié jadis une si belle étude sur le même sujet, pour la période de 1940 à 1985.

Il y a eu beaucoup de transformations entre la thèse (heureusement disponible par Internet, au fichier de la Bibliothèque de l’Université Laval) et le livre : plusieurs hors d’oeuvres ont été retranchés et des ajouts significatifs effectués, l’analyse des églises du diocèse de Sherbrooke étant le principal. Il reste trois chapitres : le premier retrace l’histoire des deux comités d’art sacré des diocèses de Québec et de Montréal depuis Vatican II, le deuxième examine des pratiques nouvelles dans les églises, le troisième analyse l’évolution des formes architecturales des églises dans quatre diocèses entre 1985 et 2002.

Je suis sorti bien déçu de la lecture du premier. C’est que l’histoire des deux comités d’art sacré ici présentés ne repose que sur les seuls procès-verbaux de leurs réunions (et pour Québec, il n’y en a pas eu entre 1972 et 1982 !). La vie en est presque absente. Par exemple, pour Québec, l’affaire L’Ange Gardien, si cruciale dans les années 1970, est à peine évoquée : il aurait fallu nous la présenter ou au moins renvoyer à une bonne présentation. De même pour tout le tollé public ayant entouré la démolition des églises de Saint-Patrick ou de Notre-Dame du Chemin : pas un mot là-dessus ! Et surtout, aucune entrevue, alors que la source orale me paraît une nécessité pour un sujet si contemporain. Pensons aux abbés Claude Turmel, à Montréal, ou Mario Dufour, à Québec : des entrevues de fond ne s’imposaient-elles pas ? Si l’auteur leur a parlé, il n’y en a pas trace dans l’ouvrage… La conclusion qui se dégage de ce chapitre est que ces deux comités sont passés de préoccupations liturgiques, au moment du Concile, à des préoccupations patrimoniales, et qu’ils agissent de concert avec les autorités gouvernementales.

Le deuxième chapitre n’est guère plus consolant, sur le plan conceptuel. L’auteur essaie d’y cerner un certain nombre de pratiques « nouvelles », qui pourraient redonner vie aux églises paroissiales. Il mentionne trois séries d’exemples. D’abord, des « lieux des arts autonomes », entendez des concerts, opéras, danses, expositions… À mon avis, il n’y a rien là de bien nouveau et des concerts, même profanes, dans des églises ont lieu depuis belle lurette : on a assez vu d’évêques protester contre ! J’ai regretté que Gauthier n’ait pas mentionné les grandes manifestations artistiques à l’Oratoire Saint-Joseph, souvent plus significatives. Mais il est vrai que l’Oratoire n’est pas une église paroissiale… En deuxième lieu, on parle de tourisme religieux, avec des initiatives comme celle de Feux sacrés à la basilique de Québec. Ici, il faut louer l’auteur pour être allé sur le terrain et avoir relevé plusieurs manifestations pas toujours faciles à repérer. Enfin, une section porte sur les « nouveaux rituels », entendez, principalement, l’utilisation des églises pour les funérailles de personnalités, qu’on pourrait qualifier de funérailles civiles : Pauline Julien, Marie-Soleil Tougas, Jean-Paul Riopelle. Conclusion de ce chapitre : les églises paroissiales ont désormais un caractère communautaire. De « maison de Dieu », l’église est devenue, avec le Concile, « maison du peuple de Dieu » et, aujourd’hui, est en passe se transformer en « maison de tous ».

L’intérêt principal de l’ouvrage réside dans le chapitre III, un relevé des églises construites ou réaménagées dans quatre diocèses québécois : Québec, Montréal, Sherbrooke et Saint-Jean-Longueuil, entre 1985 et 2002. L’annexe 1 présente un tableau du nombre d’églises alors construites dans les diocèses catholiques du Québec : il y en a 35 au total, dans 13 diocèses différents (sur 22). Il me semble qu’avec un si petit nombre, l’auteur aurait pu les étudier toutes, quitte à ne présenter que les cas les plus significatifs dans son ouvrage. Ici, il en étudie 22, soit 6 à Québec, 8 à Montréal, 5 à Sherbrooke et 3 à Saint-Jean-Longueuil.

À Québec, cinq reconstructions ont eu lieu à la suite d’incendies. Le cas le plus intéressant est celui de l’église Saint-François, à l’île d’Orléans. Le ministère des Affaires culturelles y contribua pour 500 000$. Le contexte est bien présenté et, ici comme ailleurs, Richard Gauthier donne des appréciations pertinentes. Pour Québec, les réaménagements d’églises, entre 1997 et 2002, sont particulièrement intéressants, que ce soit des villages (Sainte-Françoise, Villeroy) qui transforment l’église en centre communautaire, tout en conservant la fonction cultuelle, ou l’église Notre-Dame de Jacques-Cartier, où le curé Mario Dufour a lancé des idées imaginatives pour conserver cet immense édifice.

À mesure qu’on avance dans la lecture se révèle une constatation intéressante, à première vue surprenante. C’est que les constructions de cette période délaissent complètement la modernité et les nouveautés qui faisaient la gloire des années 1950 et 1960 pour revenir à des formes monumentales ou archaïques. De sorte que les cas les plus stimulants sont souvent ceux des réaménagements, où des solutions ingénieuses et pratiques sont trouvées, qui permettent la conservation des lieux de culte. Notre-Dame de la Garde, à Longueuil, entre dans cette catégorie. À Montréal, l’église Jean-XXIII, dans la région des Galeries d’Anjou, est un cas unique, mais révélateur : on y a conçu une église de type maison, concept défendu par le bénédictin belge dom Frédéric Debuyst. Richard Gauthier relève aussi une nouveauté qui a tendance à se répandre : les chapelles d’adoration, séparées du lieu de culte. Le phénomène mériterait d’être analysé, dans le cadre de la dialectique entre le communautaire et l’individuel. L’auteur ajoute en annexe un relevé, par diocèse, des églises vendues entre 1965 et 2002. Il y en a 48, pour un total de quelque 1800 églises encore en fonction, soit moins de 3%. On soupçonne que le phénomène s’accélère depuis 2003…

Cette dernière partie confère à l’ouvrage une véritable utilité. Cela constitue-t-il une thèse de doctorat ? Je me permets d’en douter, mais on a déjà vu pire à l’Université Laval… Il reste que, tel qu’il se présente, ce livre rendra service. On y trouve des données, des descriptions précises, avec ce vocabulaire choisi, presque poétique, que les historiens de l’art utilisent pour décrire un bâtiment, des photographies (la plupart de l’auteur) qui éclairent les descriptions et des prises de position, des jugements, qui portent à réflexion. Nul doute que Richard Gauthier a de vastes chantiers devant lui, avec toutes les transformations qui s’annoncent dans le domaine du patrimoine religieux au cours des dix prochaines années.