Comptes rendus

Boileau, Gilles, avec la collaboration de Léo Chartier, Étienne Chartier : la colère et le chagrin d’un curé patriote (Québec, Septentrion, 2010), 360 p.[Notice]

  • Gilles Laporte

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  • Gilles Laporte
    Cégep du Vieux-Montréal

Étienne Chartier (1798-1853) occupe une place bien à part dans l’histoire du clergé québécois : érudit, libre penseur, insoumis, mais aussi persécuté et humilié par ses supérieurs. Il était temps qu’une biographie importante permette de faire la lumière sur les diverses facettes de l’aumônier des patriotes. Né près de Montmagny, Chartier fit ses études au Séminaire de Québec, puis fut reçu avocat en 1823. Il déchante cependant rapidement, incapable de se bâtir une clientèle et de payer des dettes, des dettes qui le suivront apparemment toute sa vie selon GillesBoileau. Apparemment doté d’une foi sincère, il entre en religion et est ordonné prêtre en 1828. D’abord vicaire à Saint-Gervais, mais aussi devancé par sa réputation d’érudit, il décroche, à seulement 31 ans, le poste de premier directeur du collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (1829-1831). Immédiatement, il se fait remarquer pour son franc-parler, s’attire l’attention des journaux et l’opprobre de ses supérieurs. Son Planraisonné d’un Cours d’étude pour le Collège de Ste-Anne (1828) propose rien de moins que de renouveler de fond en comble le système d’éducation : « […] Accoutumé à ramper devant ses supérieurs, croit-on qu’un jeune homme ainsi formé sera un sujet bien propre à une société telle qu’elle existe aujourd’hui ? […] Je me vois [donc] obligé de détruire l’édifice gothique de notre ancienne éducation jusque dans ses fondements : il me faut entièrement bâtir en neuf ; les fondements de l’ancien ont été trop mal assis.«  (p. 35). Déjà Chartier pose ce qui sera son moto, mais aussi sa pierre d’achoppement avec ses supérieurs, le lien qu’il établit entre son sacerdoce et le combat national et politique : « Qu’est-ce donc qui sauvera le Canada du mépris, de la dégradation, de l’esclavage politique ? L’éducation, l’éducation politique ; et si l’on fait réflexion que nos droits religieux reposent sur la même base que nos droits politiques, on ne devra pas trouver étranger que j’appuie, dans la chaire évangélique, sur des considérations politiques que la circonstance amenait nécessairement. » (p. 43). Promptement écarté de la direction du nouveau collège, Chartier se voit ensuite attribuer une succession de charges paroissiales éprouvantes : à Sainte-Martine (1831-1833), à Saint-Pierre-les-Becquets (1833-1834), à Fraserville (1834-1835), à Saint-Benoît enfin, où il prend fait et cause pour les patriotes (1835-1837). Il donne alors toute sa mesure à sa critique de l’oligarchie religieuse : « Le clergé et les militaires sont les éternels ennemis de la liberté civile, c’est bien vrai du clergé canadien. Et puis j’ajoute que vous n’êtes que des aveugles : le pays gagnera dans la lutte et le clergé tombera avec l’oligarchie qu’il supporte de son impuissante influence. C’est Chartier qui te le dit, et Chartier malheureusement aura raison. » (p137) Partout Chartier semble en butte à des difficultés sans nom, des périodes de dépressions alternant avec des moments frénétiques, ponctués de brusques colères dont sa correspondance fait largement étalage. S’étonnant à Saint-Pierre-les-Becquets du peu de soutien de son évêque, il écrit péremptoirement à Mgr Signay : « Oui, j’ai le droit de faire le reproche à Votre grandeur que c’est elle qui m’a poussé dans l’abîme où je me trouve aujourd’hui. » (p. 120). À Sainte-Martine, où on dénonce le fait qu’il choisisse de vivre à l’hôtel plutôt qu’au presbytère : « Je savais aussi que ni la fabrique ni la paroisse n’avaient le droit de me retenir au presbytère qui est pour mon usage et non pour mon esclavage, comme la pratique de bien d’autres curés l’a déjà démontré dans ce diocèse. » (p. 65) À Saint-Grégoire-le-Grand, il demande désespérément un vicaire pour l’assister : « C’est un …