Comptes rendus

Goulet, Denis, Histoire de la dermatologie et de la syphilographie au Québec (Montréal, Carte blanche, 2010), 296 p.[Notice]

  • Julien Prud’homme

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  • Julien Prud’homme
    Centre interuniversitaire de recherche sur la science et les technologies (CIRST)
    Université du Québec à Montréal

En 1990, l’historien canadien de la santé J. T. H. Connor diagnostiquait une épidémie de « centennialitis », c’est-à-dire une prolifération d’histoires commémoratives destinées à fêter les centenaires des premiers grands hôpitaux modernes. Vingt ans plus tard, c’est au tour des associations médicales de célébrer l’histoire de leurs spécialités respectives, dont les subdivisions officielles datent souvent du milieu du XXe siècle. Participant au mouvement, l’Association des dermatologistes du Québec ne se refuse rien : couverture rigide, photos couleur… et même un historien professionnel, en l’occurrence Denis Goulet, historien émérite de la médecine québécoise. L’entreprise est digne d’intérêt, à double titre. D’une part, la spécialisation médicale est un phénomène majeur qui gagne à être étudié. D’autre part, l’histoire de la dermatologie est indissociable de celle de la syphilis et ouvre donc une fenêtre à l’étude des mouvements antivénériens de la première moitié du XXe siècle. L’ouvrage compte une introduction suivie de quatre chapitres. L’introduction, en fait, est un chapitre en soi et offre une histoire générale des approches médicales des maladies de peau et de la syphilis avant le XXe siècle. Le récit est conventionnel mais efficace : on y récapitule les erreurs des Anciens, les précurseurs isolés, puis les victoires de la médecine anatomique et de la bactériologie qui, au XIXe siècle, se déclinent en de multiples écoles nationales. Goulet fait bien ressortir le rôle croissant du laboratoire ainsi que l’importance de la concentration des patients dans les hôpitaux modernes pour la formation de savoirs médicaux spécialisés. Le chapitre 1 se concentre sur l’approche médicale de la syphilis après 1900. Une mise en contexte soulève quelques questions d’épidémiologie historique : la syphilis qui ravage l’Europe au XVIe siècle vient-elle du continent américain ? Le fameux « mal de Baie-Saint-Paul », qui éclôt en 1775, est-il de nature syphilitique ? Goulet fait ensuite un saut dans le Québec du début du XXe siècle pour montrer le rôle de la lutte antivénérienne dans la mise sur pied d’un solide appareil de santé publique, tout en mentionnant les réticences des médecins généralistes devant l’immixtion des laboratoires, des hôpitaux et de l’État dans leur pratique libérale. L’exposé est d’un grand intérêt, même si on peut douter que « les dermatologistes de l’époque ont joué un rôle majeur » dans ces événements, comme l’annonce Goulet à ses lecteurs. Le chapitre 2, de fait, permet de constater que la « dispersion des maladies cutanées et vénériennes » dans les classifications du premier tiers du XXe siècle ne favorise pas une réelle spécialisation en dermatologie, surtout en Amérique du Nord. Consacré à l’émergence d’une telle spécialisation au Québec, le chapitre prend la forme, moins synthétique et plus difficile à suivre, d’une série de vignettes biographiques des pionniers « importants » et ordonnés selon leur hôpital d’attache. On comprend que les premiers médecins intéressés ne s’adonnent qu’à temps partiel à l’étude de la syphilis et des maladies de peau, mais que la situation change avec la mise sur pied d’un enseignement spécialisé après 1930 et avec la démobilisation, en 1946, d’un grand nombre de médecins militaires dont plusieurs se réorientent en spécialité. L’intérêt clinique pour les maladies vénériennes est mentionné, mais Goulet ne précise pas le rôle de ces maladies dans la formation de la spécialité, qui connaît par ailleurs un glissement vers « l’intervention instrumentale » (p.123) sur des maladies cutanées comme le cancer. Le troisième chapitre décrit la formation d’associations autour desquelles se coagule progressivement l’identité de la spécialité. Les premiers regroupements, comme la Montreal Dermatological Society fondée en 1930, agissent comme des sociétés d’animation scientifique au bénéfice des …