Comptes rendus

COHEN, Yolande, Femmes philanthropes. Catholiques, protestantes et juives dans les organisations caritatives au Québec (Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2010), 256 p.[Notice]

  • Micheline Dumont

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  • Micheline Dumont
    Professeure émérite, Université de Sherbrooke

Yolande Cohen nous a habitués à des publications qui suscitent la controverse : son dernier ouvrage ne fait pas exception. À vrai dire, Cohen expose clairement dans la conclusion de son livre ce qu’elle tient à présenter comme une interprétation nouvelle et définitive de l’histoire du féminisme au Québec ; elle tient à se démarquer complètement des travaux (articles, livres) qui ont été publiés auparavant, de Catherine Cleverdon à Diane Lamoureux, en passant par le Collectif Clio et les historiennes Lavigne, Pinard et Stoddart. Elle déplore surtout les jugements sévères des historiennes des années 1970 qui accusent les féministes du début du XXe siècle de conservatisme. « [Mon] étude, affirme-t-elle, permet de repenser les modalités de l’intégration des femmes à la citoyenneté (politique) et les processus de transformation des démocraties. Elle permet aussi de révéler la capacité d’agir des femmes (agency) pour établir leurs droits, alors même qu’elles sont exclues du droit de vote par des hommes de la bourgeoisie dominante. […] Le rôle joué par les associations philanthropiques bien que très souvent mentionné est rarement pris en compte. C’est désormais chose faite. » (p. 186-187). Fort bien. Examinons maintenant la démonstration. L’ouvrage de Cohen commence par un chapitre théorique « Les philanthropies : genre, religion et politique », texte ambitieux qui propose des propos généraux sur les rapports entre l’État, les Églises et la société civile dans le domaine du soutien aux populations. Mais les termes ne sont définis nulle part. Pourtant, charité, philanthropie, justice sociale ne sont pas des concepts univoques. Elle s’appuie longuement sur l’évolution de la philanthropie en France mais ne dit mot, sinon en passant, du vaste mouvement de réforme sociale qui a traversé l’Amérique du Nord à partir du milieu du XIXe siècle qui est pourtant celui qui a inspiré les groupes qu’elle analyse. Elle propose un cadre d’analyse en quatre modèles (p. 33) « selon l’étatisation d’une société et le degré d’incorporation des associations en son sein » ; elle n’utilise toutefois pas ce cadre dans le reste de son ouvrage. Son objectif est de « montrer que l’action des mouvements sociaux, anciens ou nouveaux, est indissociable de la nature de l’État qu’ils contribuent à construire ou qu’ils contestent » (p. 34). Surtout, dans ce chapitre théorique, Cohen s’attarde longuement sur le concept de « maternalisme », idéologie au « potentiel émancipateur », base de toute son analyse. À la suite des auteurs de ce concept, Seth Koven et Sonya Michel (Mothers of the New World : Maternalists Politics and the Origine of the Welfare States (New York/Londres, Routledge, 1993), Cohen avance que les femmes ont joué un rôle central dans la création de l’État-Providence. Mais le maternalisme n’est pas un concept univoque et il a été utilisé à bien des sauces. Louise Toupin a bien montré que c’est « un concept réducteur car il peut englober à peu près toutes les femmes qui, hors de la maison, se sont préoccupées du sort des mères et des enfants et qui ont utilisé (ou non), pour ce faire, la rhétorique de la maternité au sens large ». (« Des « usages » de la maternité en histoire du féminisme », Recherches féministes, 1996, p. 113-135.) Cohen ne précise jamais si son recours au concept de maternité réfère à l’idéologie de la mère ou à sa réalité matérialiste. Au bout du compte, un bref aperçu des groupes qu’on peut qualifier de « maternalistes » en Occident permet de constater que le maternalisme est une appellation parapluie regroupant des individus et des organisations de plusieurs tendances politiques, soit radicale, soit libérale …