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Dans un Québec qui a beaucoup sacrifié son patrimoine, les anciens collèges classiques, dont plusieurs poursuivent leur mission d’enseignement sous forme d’écoles secondaires et collégiales privées, se présentent comme de précieux lieux de mémoire. Dans nos paysages urbain et villageois, leur stature imposante, leur architecture stylisée et leur noble façade de pierre évoquent les efforts de nos ancêtres pour conquérir le savoir et la culture. Le Séminaire de Saint-Hyacinthe, fondé par le curé Antoine Girouard en 1811, figure parmi les institutions les plus vénérables de cette histoire. La liste est longue des personnages illustres qui sont passés entre ses murs avant de marquer les destinées de la région maskoutaine et du Québec tout entier. La maison a accueilli 27 futurs évêques, dont Charles-Édouard Fabre et Georges Cabana, et elle compte aussi parmi ses anciens élèves 7 premiers ministres provinciaux, dont Daniel Johnson père, ainsi que 6 lieutenants-gouverneurs du Québec.

Afin de souligner le deux centième anniversaire de l’institution maskoutaine, un ouvrage retraçant son histoire a été publié en 2011, sous la plume de l’historienne de l’art Diane LeBlanc. Le format beau-livre, avec couverture rigide, papier glacé et abondance d’illustrations, a été retenu pour l’occasion ; il convient bien à l’ambition commémorative du projet et souligne avec panache le prestige de l’institution célébrée. Comme le précise d’entrée de jeu l’auteure, cet ouvrage-anniversaire s’inscrit dans une tradition de préservation de la mémoire au Séminaire. Joseph-Sabin Raymond au XIXe siècle, Charles-Philippe Choquette à l’occasion du centenaire et d’autres à leur suite ont amorcé la mise en récit de l’épopée institutionnelle. Le travail soigneux des archivistes a fait le reste et c’est ainsi que Diane LeBlanc a pu s’appuyer sur un corpus solide afin de revisiter, à son tour, la longue vie du Séminaire de Saint-Hyacinthe.

Selon les règles du genre, l’ouvrage s’ouvre sur une série de mots de dignitaires : évêque du diocèse, supérieur actuel du Séminaire, président des fêtes du bicentenaire. Loi du genre toujours, la trame chronologique est jalonnée de manière classique, qu’il s’agisse du passage des supérieurs successifs ou de l’évolution de l’édifice lui-même : déménagements, incendies, reconstruction et agrandissements. L’ouvrage se découpe en 7 parties, recouvrant pas moins de 22 chapitres. La première fournit d’indispensables éléments de contexte. On y rappelle l’expansion du réseau des séminaires catholiques en Occident, dans le contexte du concile de Trente et de la Contre-Réforme, une formule jésuite transplantée en Nouvelle-France dès 1635. Les débuts de l’institution maskoutaine elle-même sont ensuite relatés. Avec force détails généalogiques, on présente le fondateur, cet homme dont la foi dans l’éducation était inébranlable. Modeste classe latine, le collège de 1816 n’accueille que 18 pensionnaires. La seconde partie approfondit la période pionnière de la maison d’enseignement ; elle rend hommage aux premiers mécènes et supérieurs et souligne la reconnaissance civile de la maison en 1833. Selon les souvenirs d’Amédée Papineau, l’institution s’impose au cours des troubles de 1837-1838 comme un haut lieu de diffusion de l’esprit national. La croissance du Séminaire est, par ailleurs, favorisée par le développement économique de Saint-Hyacinthe auquel contribue directement le sieur Jean Dessaulles. En 1844, en ce bourg régional qu’est devenu l’ancien village, le Séminaire accueille 140 garçons.

La période 1847-1884, dite de consolidation, est abordée dans la troisième partie. Sous le supériorat de Joseph-Sabin Raymond, l’un des principaux conférenciers du mouvement religieux ultramontain, le Séminaire s’installe à demeure dans le paysage maskoutain. Le développement des transports ferroviaires, dont bénéficie beaucoup Saint-Hyacinthe, de même que la fondation du diocèse en 1852 ne sont pas étrangers à la bonne santé de l’institution. Au coeur des grands courants de pensée du XIXe siècle, la maison maskoutaine acquiert alors un rôle de premier plan dans le mouvement du renouveau religieux, orchestré depuis Montréal par l’évêque Bourget. Dans ce contexte, le collège fournira plusieurs zouaves pour la défense de la papauté. Du côté des rapports maître-élève, l’époque est marquée au sceau de la rigueur et de la discipline ; on ne craint pas d’exclure les mauvais éléments qui risqueraient de contaminer l’ensemble. C’est en 1853 que l’institution déménage sur son site actuel. Vraisemblablement inspiré du Séminaire de Bourges, le bâtiment de style néoclassique est coiffé d’un magnifique dôme, en référence cette fois à Saint-Pierre de Rome.

La partie IV couvre les années 1884 à 1911, présentées comme celles de l’enracinement. La clientèle scolaire croît toujours : 285 écoliers en 1886 et pas moins de 454 l’année du centenaire. La vie étudiante s’organise, se dynamise de diverses façons : à l’Académie Girouard, on pratique l’art de la plume et de la déclamation, mais les collégiens s’intéressent aussi à la cour civile et criminelle, à la fanfare, à la milice et au journal étudiant. Ces décennies sont aussi marquées par la modernisation de l’édifice et des travaux d’embellissement ; elles se terminent avec l’ajout de l’aile du centenaire. C’est la plongée dans le premier XXe siècle et la confrontation avec la modernité qui sont abordées dans la partie V de l’ouvrage. Lors de l’année scolaire 1913-1914, ce sont désormais 509 écoliers, dont 422 pensionnaires, qui forment la communauté collégiale. Il est à noter que, du nombre, près d’une centaine d’élèves proviennent des États de la Nouvelle-Angleterre. Diverses innovations confrontent alors les traditions collégiales : vues animées, visite des parents facilitées par l’automobile, popularisation du sport. Que faut-il faire devant tous ces changements, toutes ces tentations ? Sous le supériorat de Léon Pratte, la maison s’efforce de conserver, essentiellement, un rôle de gardienne des traditions. Mais l’homme innove à sa façon. Inspiré par les écrits du pédagogue français Mgr Dupanloup, Pratte exhorte ses confrères à porter une attention individuelle aux élèves et s’intéresse de plus près à l’art complexe de la transmission du savoir. On voit aussi, sur le plan administratif, de nouvelles pratiques s’instaurer, encouragées par un financement plus organisé et systématique de la part de l’État. Sous Louis-Alexandre Taschereau, en effet, le bill David touche 21 maisons d’éducation secondaire qui reçoivent désormais, annuellement, une subvention de 10 000 $. Les années de la Grande Dépression n’en sont pas moins difficiles, entraînant une baisse du nombre d’élèves : 549 garçons en 1931-1932 ; 407 en 1938-1939.

La partie VI aborde les années 1940-1959 où le Séminaire, cette fois, double son effectif. Les familles étant de plus en plus soucieuses, au sortir de la guerre, de l’éducation de leurs enfants, l’offre éducative se diversifie, mettant un terme au monopole du Séminaire dans la formation secondaire des jeunes Maskoutains. Pour tenir le coup face à la montée des externats classiques et collèges commerciaux, l’ancienne maison doit s’adapter, mieux faire valoir ses atouts. On développe, par exemple, une offre plus complète d’activités physiques, on souligne les normes d’hygiène élevées du Séminaire, de même que la qualité de la nourriture. La vieille redingote est remplacée par un blaser moderne. C’est aussi la grande époque de la Jeunesse étudiante catholique et du développement du parascolaire.

La VIIe et dernière partie s’avère un peu plus décevante. En un peu plus de 30 pages, on règle le sort des années qui vont de 1960 à aujourd’hui, période pourtant marquée par un profond bouleversement de l’institution. Le luxe de détails qui caractérisait la présentation de l’ère du cours classique fait place à une accélération exagérée du récit. Le choc de la Révolution tranquille, le concile Vatican II, la fin du cours classique, la métamorphose de l’institution, après une période de flottement, en une école secondaire privée dans les années 1970, l’accueil des professeurs laïques et des filles dans les classes pour contrecarrer la baisse des « clientèles » au début des années 1990 : tout cela est abordé à grande vitesse et on regrette ce déséquilibre entre l’histoire des anciens et celle des modernes…

Malgré le traitement insatisfaisant qui est fait aux années qui vont du Rapport Parent à aujourd’hui, l’ouvrage de Diane LeBlanc mérite notre admiration. Il s’appuie sur une érudition solide et n’a pas le défaut de certaines histoires institutionnelles, écrites « en vase clos », qui négligent le contexte scolaire, économique, politique, idéologique et religieux. Plaisir pour les yeux, le livre regorge aussi d’illustrations diverses, dont certaines photographies d’oeuvres d’art qui témoignent de la richesse du patrimoine collégial maskoutain. Pensons à ces trésors que sont les chasubles et étoles brodées de la main de Rosalie Papineau-Dessaulles et de Julie Bruneau Papineau, aux sculptures de bois de la chapelle ou à l’orgue Casavant. Les amateurs d’architecture goûteront aussi les détails donnés sur l’évolution des bâtiments et l’aménagement du domaine. Les historiens et autres chercheurs, pour leur part, apprécieront que l’ouvrage s’appuie sur un bon appareil critique et sur une bibliographie à jour.