Comptes rendus

Martel, Marcel et Martin Pâquet, Langue et politique au Canada et au Québec : une synthèse historique (Montréal, Boréal, 2010)[Notice]

  • Joel Belliveau

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  • Joel Belliveau
    Département d’histoire, Université Laurentienne

La langue fait couler beaucoup d’encre au Canada. C’est vrai maintenant, et c’est loin d’être nouveau. Aussi, les études en sciences humaines et sociales qui s’intéressent aux questions linguistiques sont très nombreuses dans ce pays, et depuis longtemps, particulièrement chez les universitaires francophones. C’est pourquoi il est un peu étonnant que personne n’ait préparé une synthèse des rapports qu’entretiennent langue et politique au Canada avant maintenant. C’est ce que nous proposent les historiens Marcel Martel et Martin Pâquet, respectivement professeurs et titulaires de chaire à l’Université York et à l’Université Laval. Il s’agit d’une tâche monumentale. Synthétiser et faire sens de plus de 400 ans de débats sur la langue n’est pas une mince affaire. La longueur de la période couverte aurait pu devenir un handicap si elle avait forcé les auteurs à s’en tenir au superficiel. Il n’en est rien. Au contraire, elle procure à l’ouvrage l’une de ses contributions les plus appréciables : celle d’offrir un recul sain, une distance salutaire à l’égard des débats et des sensibilités contemporaines touchant à cette question politiquement chargée. Par sa description fine de la conception changeante que se font les Occidentaux de la langue, l’ouvrage illustre avec clarté comment la montée des enjeux linguistiques est consubstantielle à la modernité, et a partie liée avec l’industrialisation et avec l’émergence de la nation, dans le sens sociologique du terme. C’est donc une thématique universelle qui est examinée à l’aune d’une périodisation bien canadienne, déclinée en six temps. Le premier chapitre, balisé par l’ordonnance de Villers-Cotterêts (qui fait du français la langue administrative du royaume de France, en 1539) et l’octroi du gouvernement responsable aux colonies de l’Amérique du Nord britannique (1848), discute des enjeux linguistiques pendant les périodes coloniales, illustrant comment ceux-ci étaient présents, mais d’importance somme toute secondaire. Les deux chapitres suivants décrivent tour à tour une phase de conflits linguistiques intenses (1848-1927), liée à l’industrialisation et aux réformes étatiques – notamment scolaires – qu’elle a inspirées, puis une période d’apaisement relatif (1927-1963), premier modus vivendi linguistique canadien, qui prend la forme d’accommodements mutuels (mais bancals) entre élites communautaires de langue anglaise et française au nom de la « bonne entente ». Le « retour majeur de l’enjeu linguistique » qui a accompagné les mouvements de prise de parole citoyenne des années 1960 et 1970 fait l’objet des chapitres suivants. Le quatrième (1963-1969) s’attarde aux multiples revendications émergentes de l’heure et aux tentatives de canalisation de celles-ci au sein de Commissions d’enquête étatiques, alors que le cinquième (1969-1982) est axé sur les changements légaux et constitutionnels qui ont découlé de ces mobilisations, qui consacrent l’aménagement linguistique comme un domaine de régulation obligatoire de l’État. Le sixième et dernier chapitre décrit entre autres la tendance à la judiciarisation des débats linguistiques depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés. Les auteurs développent, en introduction, un appareil théorique qui, bien qu’il aille plus loin que celui de bien des ouvrages historiques, n’en demeure pas moins modeste. Emprunté aux politologues David Cameron et Richard Simeon, il repose sur trois concepts, soit celui du vouloir-vivre collectif (par lequel la langue est explorée sous l’angle du sentiment d’appartenance et des références identitaires), celui du devoir-vivre collectif (par lequel la langue est vue à l’aune des normes qui régissent forcément la vie en commun) et celui du comment-vivre ensemble (qui examine les débats linguistiques en tant que jeux politiques mettant en lumière les rapports de force entre groupes sociaux). Très présent en introduction, ce cadre conceptuel élémentaire donne initialement à craindre qu’il forme un « moule » trop contraignant pour la matière à couvrir. Heureusement, ce …