Comptes rendus

BERTHOLD, Étienne, Patrimoine, culture et récit. L’île d’Orléans et la place Royale de Québec (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2012), 221 p.[Notice]

  • Maude Flamand-Hubert

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  • Maude Flamand-Hubert
    Université du Québec à Rimouski

Étienne Berthold propose un ouvrage fort séduisant, qui nous entraîne dans deux lieux mythiques du Québec, soit l’île d’Orléans et place Royale. L’auteur décortique les processus de construction symboliques qui ont élevé ces sites patrimoniaux au rang de berceaux de l’Amérique française, une perspective qui se différencie nettement des études architecturales ou ethnologiques plus traditionnelles. Pour ce faire, il propose une approche historique qui consiste à reconstituer avec finesse les récits de la patrimonialisation des lieux. Un solide chapitre méthodologique précède l’entreprise et effectue un retour efficace sur les grands courants de pensée du patrimoine et leur mise en application au Québec. Pour guider sa démarche de déconstruction, l’auteur privilégie une approche herméneutique de la culture et de l’idéologie trouvant leur appui dans le courant de l’histoire culturelle québécoise et plus particulièrement sur les travaux de Fernand Dumont. Berthold commence par identifier les conjonctures qui alimentent la patrimonialisation de l’île d’Orléans et de place Royale, avant de nous guider à travers les deux études de cas et de leurs processus de patrimonialisation résultant de la rencontre d’une construction élitique et une demande sociale plus large. En liant textes et contextes, il nous invite à «  “traquer” les idéologies à l’oeuvre dans la patrimonialisation » (p. 26) ainsi qu’à comprendre comment la patrimonialisation s’inscrit dans le monde de l’action. La patrimonialisation de l’île d’Orléans est circonscrite temporellement de 1860 à 1935. L’enquête de Berthold présente d’abord la construction d’une représentation discursive de l’île d’Orléans liée à l’émergence d’une pensée littéraire dans la deuxième moitié du XIXe siècle idéologiquement conservatrice. On découvre l’île à travers les textes de ceux qui se sont évertués à élaborer à son sujet une stratégie de mise en valeur historique associée à la découverte et au déploiement de la villégiature et du tourisme. Berthold fait ressortir l’importance de ces pionniers du patrimoine en retraçant les grandes lignes de leurs biographies (Noel Bowen, Hubert Larue, Louis-Édouard Bois, Louis-Philippe Turcotte, Pierre-Georges Roy), ce qui a l’avantage de révéler la complexité du processus de patrimonialisation, au risque parfois de faire oublier l’objet patrimonial et la trame conceptuelle de l’ouvrage. Par chance, l’auteur y revient périodiquement et propose de solides conclusions. Ce premier élan d’une construction de l’île d’Orléans comme lieu symbolique du Régime français, qui attribue à celle-ci le caractère d’un autre âge et en fait un lieu porteur de tradition, culmine et se consolide avec l’achat, la restauration et la valorisation du manoir Mauvide-Genest par Joseph-Camille Pouliot. On voit à quel point la patrimonialisation relève d’une volonté politique visant à mettre en valeur économiquement l’île par l’intermédiaire du tourisme et de la production agricole, volonté qui justifiera finalement la construction du pont reliant l’île à la terre ferme. Ce même pont qui fera craindre une dénaturation des lieux, mais qui donnera au plus grand nombre un accès au berceau et consolidera par le fait même sa portée symbolique. Le cas de place Royale est abordé quant à lui en deux temps. D’abord à travers l’épisode de sa reconstruction, qui débute avec le secteur Notre-Dame-des-Victoires au tournant des années 1960 et se poursuit jusqu’en 1978. La période se clôt avec le « colloque Place Royale », qui donna lieu à l’expression des critiques sur les modalités du projet, tant sur le plan des impacts sociaux qu’en matière des choix de restauration. On fait ensuite un saut dans le temps jusque dans les années 1990, alors qu’un débat s’engage autour du projet d’interprétation du site. Avec place Royale, Berthold aborde l’épineux dossier des revers et des conséquences sociales de la patrimonialisation et de leur inscription dans les idéologies fonctionnalistes de …