Comptes rendus

Laberge, Alain, avec la collaboration de Jacques Mathieu et Lina Gouger, Portraits de campagnes : La formation du monde rural laurentien au XVIIIe siècle (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2012), 153 p. (livre numérique)[Notice]

  • Colin M. Coates

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  • Colin M. Coates
    Collège universitaire Glendon, Université York

Ce livre numérique nous propose un aperçu détaillé du territoire seigneurial de la Nouvelle-France d’après une belle série de sources : les aveux et dénombrements produits entre 1723 et 1745. Selon plusieurs historiens, ces années, qui sont largement des années de paix pour les habitants de la vallée du Saint-Laurent, représentent une période de développement pendant le Régime français. L’occupation agricole du territoire avance de façon soutenue. La population s’accroît et la structure sociale s’ancre mais la population agraire demeure relativement petite, et la vallée du Saint-Laurent consiste toujours en un « vaste front pionnier » (p. 67). Soumis en acte de foi et hommage du seigneur envers son souverain, les aveux et dénombrements produisent un inventaire des terres. Convoqué par l’intendant de la colonie, le seigneur doit rendre compte de sa propre utilisation du terrain, des noms et des localisations des habitants sur sa seigneurie, de l’espace en culture, des bâtiments, etc. Les seigneurs se prêtent à la tâche volontairement afin de mieux faire valoir leur propre statut social. En tout, il faut plus de deux décennies pour que tous les documents soient soumis à l’intendant. Selon les auteurs de cette étude, les aveux et dénombrements sont fiables et représentent une source historique très utile. En offrant une analyse statistique et cartographique des données provenant des documents, ce livre propose aussi une critique de la source qui donne plusieurs détails, mais qui est moins valable par exemple quant à la question des droits et des redevances que doivent rendre les paysans au seigneur. Les auteurs font des comparaisons entre les régions et les seigneuries selon tous les critères possibles. Ainsi, le livre fournit plusieurs informations pour tout chercheur qui s’intéresse à contextualiser une seigneurie ou une région en particulier. L’étude montre clairement que la société de la vallée laurentienne n’est point homogène à cette époque : « Rien ne serait plus éloigné de la réalité que d’affirmer que la vallée du Saint-Laurent constitue un paysage uniforme sous le Régime français » (p. 73). Le mot « mosaïque » revient huit fois dans le texte. La présentation des données se fait à des échelles différentes : une vue d’ensemble de la vallée du Saint-Laurent, une comparaison des 177 seigneuries surtout organisées selon les trois gouvernements régionaux de la colonie (Montréal, Trois-Rivières, Québec), et une étude statistique des 6748 censives mentionnées dans les documents. Les seigneuries sont de tailles très différentes et les terres des roturiers aussi. Les seigneurs ecclésiastiques contrôlent beaucoup de territoire, surtout les seigneuries les plus peuplées. La mise en culture des terres varie d’une seigneurie à l’autre. Certains seigneurs font état de la présence de vergers, jardins et potagers et des moulins de farine ou de scie. Le livre détaille l’occupation agricole du sol, et il s’intéresse moins au fait urbain, même s’il considère le péri-urbain. Les auteurs ont tendance à priser l’activité agricole, même si d’un point de vue d’historien de l’environnement, le fait de laisser un terrain en forêt peut aussi représenter un choix valable, surtout si les sols ne sont pas propres à l’agriculture. Comme l’admettent les auteurs, il s’agit d’une source par définition officielle et de nature cadastrale. Les aveux et dénombrements ne révèlent pas le rôle de l’occupation du sol non officielle (« squatting »), qui représente pourtant une dynamique très importante dans la colonisation européenne d’autres parties de l’Amérique du Nord. De ce fait, la source peut sous-estimer les décisions des habitants et surestimer les politiques des seigneurs. Les sources mettent en évidence la propriété de nature européenne, et les auteurs reconnaissent la présence des seigneuries habitées par des Autochtones ainsi …