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Cet ouvrage n’est pas seulement une histoire institutionnelle. C’est surtout une histoire de l’environnement au Canada et de l’engagement des entomologistes dans la lutte menée, avec l’aide du gouvernement fédéral, contre les infestations d’insectes nuisibles aux récoltes et aux forêts.

Les espèces d’insectes sont aussi nombreuses qu’anciennes ; certaines d’entre elles sont particulièrement néfastes pour les exploitations agricoles ou forestières, sans compter la transmission de maladies aux humains et aux animaux. Aussi n’est-il pas étonnant que les savants se soient préoccupés de les combattre bien avant que les gouvernements y contribuent. Au Canada, toutefois, cette lutte est prise en charge par le gouvernement fédéral dès 1884. L’ouvrage de Stéphane Castonguay trace précisément le parcours de la double contribution de la recherche gouvernementale et du laboratoire public en reconstituant l’histoire de l’entomologie économique (la science appliquée du contrôle des insectes nuisibles en agriculture et en foresterie) au sein du gouvernement canadien entre 1884 et 1959.

L’objectif premier de l’ouvrage est d’illustrer le processus de « fondamentalisation » (l’acquisition des fondements scientifiques) de l’entomologie économique en montrant comment le laboratoire gouvernemental est parvenu, au fil des ans, à jouer un rôle central dans la production de connaissances technoscientifiques et dans la formation de chercheurs – deux fonctions habituellement attribuées aux universités.

L’examen critique des conditions d’introduction d’une pratique de la recherche dans le service entomologique fédéral fait l’objet du premier chapitre de l’ouvrage. En 1884, James Fletcher donne une première impulsion à la Division de l’entomologie de la Direction des fermes expérimentales en assurant la diffusion des connaissances. Mais à partir de 1909, le service entomologique, dirigé par Charles Gordon Hewitt, prend un nouvel essor. Grâce à la Loi sur les insectes (1910), la Division se dote d’une vingtaine de chercheurs et de douze laboratoires régionaux, ainsi que des ressources nécessaires à la protection des cultures sur tout le territoire canadien. Les recherches portent alors sur les cultures fruitières (chapitre 2) et céréalières (chapitre 3), et sur les exploitations forestières (chapitre 4).

En 1938, la création du Service des sciences du ministère de l’Agriculture modifie l’environnement de la recherche en entomologie. Une compétition oppose alors le Conseil national de recherches du Canada au ministère, et elle se poursuivra après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Le ministère cherche à exercer de nouveau le contrôle sur le développement de la recherche agricole au Canada. Cette période d’innovations technoscientifiques et de reconfigurations institutionnelles fait l’objet du chapitre 6.

Les deux derniers chapitres portent sur la recherche en entomologie agricole (chapitre 7) et en entomologie forestière (chapitre 8) depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’au démantèlement du Service des sciences en 1959, alors que l’entomologie disparaît de l’organigramme du ministère en tant qu’entité organisationnelle distincte. Durant cette période, le Service des sciences instaure une politique scientifique dont une des conséquences est de conférer aux chercheurs une importante marge de manoeuvre dans la définition de leurs activités. Celle-ci se manifeste inégalement dans les laboratoires régionaux, en fonction des traditions de recherche et des productions agricoles locales, mais elle prend une forme achevée dans les laboratoires nationaux pour le développement de spécialités en entomologie économique : toxicologie des insectes, pathologies des insectes, contrôle biologique. Les infestations préoccupent encore les entomologistes de cette époque, mais la recherche ne repose plus que sur des essais visant l’évaluation et la mise au point de techniques de contrôle ou d’éradication. Afin de contribuer au contrôle des insectes, les chercheurs utilisent dès lors les plus récents développements dans les sciences de la vie ; ils s’attaquent aux mécanismes de base régissant les phénomènes entomologiques en étudiant les techniques de contrôle, les causes des infestations et les réponses physiologiques des insectes soumis à diverses conditions environnementales. L’entomologie économique se développe alors à la fois en fonction de la protection des cultures et de la construction de la nature.

Doté d’une bonne bibliographie et d’un index bien conçu, cet ouvrage s’adresse à un vaste public intéressé par les questions environnementales, inquiet des brusques changements climatiques et anxieux de comprendre les causes de l’actuel réchauffement de la planète. Tout en répondant à plusieurs de ces questions de manière objective, non polémique, l’ouvrage dévoile un pan méconnu de l’histoire institutionnelle canadienne et révèle le rôle joué par le développement des sciences biologiques dans l’histoire du Canada. Il constitue ainsi non seulement un excellent apport à l’histoire des sciences canadiennes, mais il contribue également à la conscientisation des Canadiens envers les importantes questions relatives à la préservation des récoltes et des forêts, et à la protection de l’environnement dans un univers devenu plus sensible aux variations écologiques.