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Si l’Union nationale (UN) a pu remporter autant de succès au Québec, ce fut, certes, grâce à un programme de base (autonomie provinciale, progrès économique ordonné, prudence fiscale, respect des traditions sociales et religieuses) appuyé par une majorité de la population. Ce fut aussi par son génie du quadrillage, du financement et de l’organisation, génie se déployant avec d’autant plus d’aisance qu’il ne s’embarrassait guère de règles d’éthique et de fair play. « Les élections ne se gagnent pas avec des prières », comme l’avait déjà fait remarquer le libéral Israël Tarte vers 1900. Ce fut enfin – et c’est le coeur de l’ouvrage bref mais très réussi d’Alain Lavigne – par un recours avant-gardiste à un « marketing politique » ayant une génération d’avance sur ses concurrents. La meilleure preuve en est que l’UN a commencé à s’étioler à la fin des années 1950, avec le vieillissement de plusieurs figures clés et le décès de Duplessis bien sûr, mais aussi avec la modernisation de son vieil adversaire, le Parti libéral du Québec qui, en sus de rafraîchir son leadership et son programme, se met à recourir lui aussi avec succès aux moyens contemporains de séduction, et d’abord à la télévision, médium jamais domestiqué par les duplessistes.

Professeur au Département d’information et de communication de l’Université Laval, Alain Lavigne évite soigneusement tout jargon communicationnel, ce dont les lecteurs lui sauront gré. C’est par une très riche iconographie qu’il appuie sa démonstration. Il faut dire que l’auteur est venu à son sujet un peu fortuitement en se mettant, il y a quelques années, à courir les ventes de garage et les brocantes pour se procurer d’innombrables souvenirs de la période duplessiste. Sa collection personnelle constitue l’ossature du livre, qui adopte le sage ordre chronologique. De la campagne électorale de 1936, où un jeune parti désargenté devait pallier par l’inventivité la toute-puissance pécuniaire des libéraux, à celle de 1956 où ce fut au tour de l’UN de déployer toutes les ressources licites et illicites pour se faire réélire, on saisit ainsi tant les progrès de la « mise en marché » que l’inflexion des thèmes.

Le marketing politique de l’Union nationale prend les formes les plus diverses, destinées à capter l’attention d’un électorat que rebuterait l’étude minutieuse des programmes mais qui, en revanche, se montre réceptif aux images et aux messages : livres et brochures – pensons au Catéchisme des électeurs de 1936, d’une redoutable efficacité –, journaux dévoués à la cause (Le Temps, et surtout Montréal-Matin), films publicitaires, colifichets variés (porte-clés, signets, cartons d’allumettes, épinglettes, collants de pare-chocs, boutons de manchettes…), slogans (on n’a pas oublié « Les libéraux donnent à l’étranger, Duplessis donne à sa province »), calendriers « orientés », annonces hautes en couleur et en phrases-choc, banderoles, bustes de Duplessis (le céramiste Marcel Choquette en a réalisé 3000 en plâtre à lui seul), bandes dessinées… Rien n’est négligé pour solliciter tous les sens. Ce marketing sait s’adapter aux clientèles particulières, comme le milieu rural si choyé, et à des thèmes récurrents, comme la voirie et l’électricité, mais il sait aussi se focaliser sur deux allégories porteuses : celle du « Chef » présenté comme un père bienveillant, un patriote inflexible, un progressiste (économique, s’entend) et celle du fleurdelisé. Que de dividendes l’UN aura-t-elle recueillis du décret du 21 janvier 1948 dotant le Québec d’un drapeau !

Le livre peut servir de compagnon à une exposition reprenant une partie des trouvailles du professeur Lavigne. Sous le titre de Duplessis donne à sa province, elle a été présentée une première fois, à petite échelle, à Montmagny en 2009, dans la Maison de sir Étienne-Paschal Taché, puis au Château Dufresne de Montréal, avant de croître et d’être accueillie par le Musée québécois de culture populaire, à Trois-Rivières. Elle y demeurera jusqu’en janvier 2013 et sera présentée ensuite à la Villa Bagatelle, à Québec.

Pour explorer l’Union nationale et son chef fondateur, Duplessis, pièce manquante d’une légende ne remplacera pas une véritable étude biographique ou historique, mais il constituera un prolongement agréable autant qu’instructif. Du travail bien fait, dû à la passion d’un collectionneur exceptionnellement servi par le Septentrion, qui confirme ici sa juste réputation d’éditeur pratiquant l’art, sinon le culte, des beaux livres.