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Aujourd’hui codirecteur du Dictionnaire biographique du Canada, l’historien des idées Ramsay Cook a mené une longue carrière universitaire qui s’est échelonnée sur près de quatre décennies, à l’Université de Toronto d’abord, mais surtout à l’Université York. Un des historiens canadiens-anglais les plus réputés, Cook a fait du Québec et du Canada français ses principaux terrains de réflexion, sans pour autant jamais se hisser au rang d’intervenant majeur dans les débats qui ont animé la communauté des historiens spécialistes du Québec et du Canada français.

À la page de crédit, l’éditeur annonce fièrement que Watching Quebec fut entièrement imprimé sur du papier recyclé. Juste destin s’il en est, car c’est bien de cela qu’il s’agit ici : de recyclage. Le livre consiste en un recueil de 15 textes parus entre 1964 et 2003, dont 2 à peine n’avaient pas déjà été réédités dans l’un ou l’autre des précédents recueils publiés par Cook depuis 40 ans : Canada and the French-Canadian Question (1966, 2e éd. 1986), The Maple Leaf Forever (1971) et Canada, Québec and the Uses of Nationalism (1986, 2e éd. refondue 1995). La très grande majorité des contributions de Watching Quebec paraissent donc pour la troisième ou même quatrième fois. Dans le fond comme dans la forme, le livre illustre l’éthique écolo qu’il sied d’adopter à notre époque. Même sa couverture bleue nous rappelle le précieux bac à récupération.

Du point de vue de l’utilité, les choses ne vont pas de soi et pas seulement à cause des redites. D’abord, des huit articles qui ont été publiés une première fois en 1966 ou plus tôt, aucun ne me semble avoir grand-chose à apporter aujourd’hui. Ensuite, à l’exception de celui de 2001, fort intéressant, sur le malheureux Dr Albert Laurendeau, victime des foudres de l’épiscopat en 1912 pour avoir osé soutenir que Charles Darwin avait vu juste avec sa théorie sur l’évolution des espèces, les textes qui composent Watching Quebec relèvent de la synthèse, et non de la recherche de pointe. Cook y figure comme un interprète du Québec et du Canada français pour le bénéfice d’un lectorat canadien-anglais. En ce sens, j’imagine assez mal ce livre faire une longue carrière au Québec.

Certes, il n’est guère difficile de voir quelle utilité ces textes pouvaient avoir au milieu des années 1960, alors que les Canadiens anglais se trouvaient tirés de leur torpeur par les clameurs des manifestations indépendantistes ou le bruit des bombes felquistes. Pour les apprécier à leur juste mesure, on n’aura qu’à lire en parallèle les pages que Daniel Francis, dans National Dreams : Myth, Memory and Canadian History (1997), consacrait à la traditionnelle infantilisation du Québec et des Canadiens français par les Canadians dans les années 1960 — une tradition d’ailleurs si solidement enracinée qu’elle perdure encore dans certains quartiers. Pour mieux comprendre les causes et la nature de la montée de l’indépendantisme québécois, estimait Cook, les Canadiens anglais avaient besoin de s’éduquer à certaines réalités de l’histoire intellectuelle canadienne-française. Sur ce plan, les contributions de Watching Quebec écrites dans les années 1960 ont certainement rempli leur rôle. Avec honnêteté, équilibre et empathie, leur auteur aborde différents thèmes : la survivance, la mémoire obsessionnelle de la Conquête, le néonationalisme, l’écriture de l’histoire nationale, etc. Mais ce qui valait il y a quarante ans vaut-il encore aujourd’hui ? Ces textes, séparés de leur contexte d’origine, sans mise à jour et devant donc se soumettre au jugement du lectorat contemporain sur la base de leurs seuls mérites, méritaient-ils une énième réédition ? Ma lecture ne m’a pas convaincu.

En terminant, je tiens à souligner les faiblesses du travail d’édition. Les erreurs dans la transcription du français pullulent et agacent : ainsi croise-t-on le premier ministre Louis « St. Laurent » (p. 4), le village de « Sainte Hilaire » et le manifeste « Réfus Globale » (p. 19), la « réligion » (p. 20), le livre La « Gréve » de l’amiante (p. 76) et j’en passe. Il en va de même jusqu’à la dernière page du texte, sur laquelle le comédien Jean-Louis Roux devient Jean-Louis « Rioux » (p. 218). Que ces nombreuses fautes se soient glissées dans les textes originaux ne constitue peut-être pas matière à critiquer l’auteur outre mesure, car le français est pour Cook une langue seconde. Je m’étonne toutefois qu’elles n’aient pas été purgées à l’occasion de l’une ou l’autre des révisions linguistiques qui ont, en principe, précédé les éditions successives. Si je n’étais si médusé, je m’écrierais sans doute : ma foi, c’est donc aussi cela, la survivance !