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Après Relations particulières. La France face au Québec après de Gaulle, publié chez Boréal en 1999, Frédéric Bastien poursuit l’analyse des relations franco-québécoises dans son nouvel opus, avec, en guise de conclusion, l’affirmation que la France reconnaîtra la souveraineté du Québec à l’issue d’un référendum victorieux. S’appuyant sur les liens politiques privilégiés développés depuis les années 1960, et sur le poids de la coopération bilatérale, le « gouvernement français ne pourrait pas se défiler si les Québécois lui demandaient un jour son aide pour constituer un nouvel État-nation ». Ainsi, écrit-il, « le Québec pourra de nouveau compter sur la France dans son opposition au Canada anglais ».

Pour étayer sa thèse, l’auteur retrace l’évolution des rapports franco-québécois depuis la Révolution tranquille. Cette étude s’inscrit dans une perspective politique, en s’intéressant plus particulièrement à l’attitude des présidents français à l’égard du Québec et du gouvernement fédéral : en effet, l’Élysée fut souvent appelé « de facto à arbitrer les conflits entre Québec et Ottawa, [ayant] à choisir entre les prétentions de l’une ou l’autre des deux capitales » (p. 21). Les relations conflictuelles au sein de ce triangle diplomatique pèseront longtemps sur le développement des institutions francophones. Comme l’a relaté Claude Morin, l’intégration du Québec à l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) et l’organisation du premier Sommet de la Francophonie ont suscité de vives tensions avec les autorités fédérales.

L’intérêt du travail de Bastien est d’élargir l’étude aux programmes menés sous l’égide de la coopération franco-québécoise. Après la signature du premier accord bilatéral, le 27 février 1965, les échanges connaissent un développement remarquable, d’abord dans les domaines de l’éducation et de la culture, puis dans les secteurs scientifique, économique et industriel. L’auteur entend ainsi souligner le poids de la coopération et des « forces profondes » dans les décisions des dirigeants français, qui vont tous afficher la même volonté de développer les échanges avec le Québec. « Invariablement, cette réalité les a amenés à soutenir les revendications québécoises », écrit-il, ajoutant que cette politique s’inscrit cependant dans « une tradition de messianisme français, [qui] a servi de puissant justificateur » à la coopération (p. 21-24).

Le premier des six chapitres composant cet ouvrage est consacré aux retrouvailles politiques entre la France et le Québec, qui portent la marque du général de Gaulle. Cette période, déjà traitée par Dale C. Thomson, voit le rétablissement des relations officielles entre les deux gouvernements, avec l’ouverture, en 1961, de la Délégation générale du Québec à Paris. Les premières ententes de coopération, étudiées ici de façon sommaire, permettent le développement des échanges et la création d’organismes bilatéraux, tel l’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ), fondé en 1968. En dépit des réticences du Quai d’Orsay, la coopération connaît ainsi un essor rapide, bénéficiant du soutien politique et financier des gouvernements.

Après cette impulsion décisive, le président Georges Pompidou poursuit le développement de la coopération avec le Québec, dont l’importance se situe alors « au quatrième rang dans l’ensemble du dispositif de coopération de la France, tout juste après les trois pays du Maghreb » (chap. 2, p. 101). Sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, un important accord est signé, en décembre 1974, avec le gouvernement Bourassa. La coopération connaît un essor remarquable dans le domaine linguistique : quelques mois après l’adoption de la loi 22, un programme de stages est institué pour des travailleurs québécois et des professeurs de l’enseignement technique (chap. 3, p. 120-124). L’élection du Parti québécois, en 1976, contribue à renforcer les liens avec la France.

En dépit de relations distantes avec René Lévesque, le président François Mitterrand s’inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs. L’essentiel du dispositif de coopération est préservé, de même que le statut du Consulat général de France à Québec. La coopération s’oriente quant à elle vers le secteur économique. Déjà amorcé en 1979, ce virage permet un accroissement sensible des échanges économiques et des investissements entre les deux partenaires. Outre le succès d’entreprises québécoises dans l’Hexagone, l’implantation de l’aluminerie Pechiney à Bécancour demeure, à ce jour, la réalisation la plus éclatante de la coopération. En 1984, le Centre de coopération interuniversitaire franco-québécoise (CCIFQ) est inauguré à Paris. L’auteur parle alors de « l’âge d’or des relations franco-québécoises » (chap. 4, p. 156), même si cette affirmation mérite d’être nuancée. Il convient en effet de souligner l’ampleur des contraintes budgétaires pesant sur la coopération, qui voit ses crédits réduits des deux tiers pendant la décennie 1980. Les programmes d’échanges en éducation, qui impliquaient chaque année des centaines d’enseignants, sont abandonnés, la coopération universitaire est au plus bas. Le retour au pouvoir du Parti libéral de Robert Bourassa, en 1985, marque même une période de relâchement des liens politiques entre Paris et Québec.

Il faut attendre l’élection du Parti québécois, en 1994, pour assister à une relance de la coopération, particulièrement dans la culture. Ces relations se sont poursuivies sous le gouvernement de Jean Charest, permettant l’adoption d’une position commune sur le thème de la diversité culturelle ou l’organisation d’une mission économique conjointe au Mexique en 2004 (chap. 5, p. 216).

Frédéric Bastien, qui s’appuie sur les témoignages des principaux acteurs politiques et sur des documents tirés des archives de la présidence de la République, s’inscrit dans la lignée de son premier ouvrage, et démontre, s’il en était besoin, que la France demeure le principal partenaire politique et diplomatique pour le Québec. Mais qu’en est-il pour l’Hexagone ? Le dernier chapitre du livre propose une réflexion sur l’avenir de ces liens privilégiés. En affirmant que la France reconnaîtrait un Québec souverain, l’auteur réfute les arguments d’Anne Légaré, qui doute de l’éventuel soutien des diplomates français. Il dénonce également la promotion d’une trop forte « américanité québécoise », défendue par Gérard Bouchard, qui pourrait nuire à la coopération avec la France (p. 248).

Cet ouvrage constitue une contribution originale à l’étude des relations internationales du Québec, qui s’ajoute à la parution, en 2006, des livres dirigés par Stéphane Paquin. Il dresse également un portrait de la coopération franco-québécoise, qui nous permet de mieux apprécier la richesse et l’ampleur des échanges développés, depuis maintenant quarante ans, entre la France et le Québec.