Comptes rendus

Curtis, Bruce, Ruling by Schooling Quebec. Conquest to liberal Govermentality : A Historical Sociology (Toronto, University of Toronto Press, 2012), 563 p.[Notice]

  • Robert Gagnon

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  • Robert Gagnon
    Département d’histoire, UQAM

Curtis affirme que l’idéologie libérale, incarnée notamment par des réformistes anglais, va, à partir de la fin du XVIIIe siècle et, surtout, dans le premier tiers du XIXe, influencer un certain nombre d’éducateurs, de politiciens ou membres de l’élite bas-canadienne. Ceux-ci vont, dès lors, percevoir la scolarisation comme « a sort of machine that could create solidarity across differences of language, ethnicity, class, and religion by fostering interpersonal familiarity and by promoting a generic Christian morality » (p. 3). Cette thèse forte est étayée par les discours des hommes politiques, bien sûr, mais également par des pédagogues, des réformistes, des échanges épistolaires et des lettres ouvertes aux journaux. Le développement de cette thèse amène l’auteur hors des sentiers empruntés par la plupart des historiens qui avaient travaillé sur cette période. Ces derniers avaient plutôt basé leur analyse sur l’importance des dichotomies protestants/catholiques, anglophones/francophones, urbains/ruraux, négligeant du coup des questions comme le développement des courants pédagogiques, la formation des maîtres, la montée de l’idéologie libérale, la politisation des enjeux scolaires et l’émergence de techniques (statistiques et les questionnaires) propres aux sciences sociales, autant de thèmes abordés dans Ruling by Schooling Quebec. D’entrée de jeu, voyons quelles conclusions tire Curtis de son analyse. D’abord, la scolarisation du peuple, tant souhaitée par ses promoteurs, car nécessaire à la bonne gouverne de la société bas-canadienne, fut un échec. Comme le dit l’auteur : « the grand project of ruling by schooling in the elements of British civilization had failed  » (p. 428). Si la loi des écoles des syndics de 1829 à 1836 a permis l’érection de plus d’un millier d’écoles sur le territoire du Bas-Canada, elle n’a pu réaliser ce grand projet, souhaité autant par les Patriotes que par une grande majorité des élites anglophones. L’une des raisons principales de cet échec n’est pas tant une crise politique entre députés du parti patriote et conservateurs anglophones du Conseil législatif qui ne permit pas le renouvellement de cette loi scolaire en 1836, mais bien que la loi des écoles de syndics n’a jamais réussi à inculquer chez le peuple un goût pour l’éducation, « A Taste for Education » pour employer les termes exacts de l’auteur. Les raisons sont multiples. La loi a confié la direction des écoles aux députés qui ne pouvaient, bien sûr, accomplir cette tâche colossale. Or, aucun organisme central n’avait été prévu pour s’occuper de la gestion d’un système qui devait distribuer des sommes importantes au niveau local. Il s’en est suivi abus, malversations, conflits d’intérêts et autres corruptions. L’aversion des députés patriotes pour toute forme de bureaucratie, qu’ils identifiaient aux Tories anglophones, les a, notamment, poussés à refuser de mettre en place un organisme central qui aurait pu éviter ces dérapages et assurer une certaine uniformité des apprentissages, tout comme une meilleure gestion du système scolaire embryonnaire. Par ailleurs, dans le monde rural, la prédominance des élites d’Ancien Régime et la domination idéologique de l’Église catholique n’ont pas permis l’introduction, dans les écoles destinées aux francophones, des manuels et méthodes d’apprentissages qui s’imposaient alors un peu partout en Europe et en Amérique. À cet égard, le livre de Curtis ne fait rien pour redorer l’image de l’Église catholique, du moins jusqu’en 1841. Cette dernière a réagi négativement à toute initiative de l’État pour instruire la population, rejeté chacune de ses interventions visant à promouvoir l’instruction publique et s’est méfiée de toute structure scolaire qui ne relevait pas d’elle. Or, lorsque l’État a voté une loi pour que l’Église assume un rôle dans la scolarisation de la population (la loi des écoles de fabrique) ou que …