Comptes rendus

Bérubé, Harold, Des sociétés distinctes : gouverner les banlieues bourgeoises de Montréal, 1880-1939 (Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2014), 268 p.[Notice]

  • Gérard Beaudet

…plus d’informations

  • Gérard Beaudet
    Urbaniste émérite et professeur titulaire, École d’urbanisme et d’architecture de paysage, Université de Montréal

Reconnaissons-le d’emblée, le sous-titre de l’ouvrage d’Harold Bérubé ne rend pas entièrement justice au propos de l’auteur. D’une part, parce que la gouvernance dont il est question emprunte beaucoup à la gestion entrepreneuriale dont se réclament, réformisme oblige, les élus et les administrateurs municipaux des banlieues. Mais et surtout parce que, d’autre part, Bérubé, loin de limiter son analyse aux modalités et aux mécanismes de ladite gouvernance, entend montrer que la constitution et la « gestion » de ces municipalités sont porteuses d’un projet socio-spatial global qui s’inscrit dans la longue durée. En d’autres termes, la gouvernance sur laquelle on s’attarde est subordonnée, dans la mesure des marges de manoeuvre accordées par les lois qui régissent les municipalités, à un projet qui commande la manière dont on la définit et la met en oeuvre. Les sociétés distinctes auxquelles s’attarde l’auteur sont celles de Westmount, de Mont-Royal et de Pointe-Claire, trois bastions de la bourgeoisie anglo-montréalaise. Quant à la période ciblée – les années 1880-1939 –, elle correspond, pour partie, à une ère de forte croissance métropolitaine, tant sur le plan démographique qu’économique, et, pour partie, à une période trouble qui prend fin avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Le premier chapitre est consacré aux contextes historique et historiographique du rapport de la ville à ses banlieues. Après avoir rappelé que l’étude des banlieues s’inscrit, à compter des années 1960, dans le cadre plus général des études urbaines, on y souligne que les années 1980 et 1990 ont été l’occasion de critiques et de raffinements conceptuels qui ont progressivement permis de mieux appréhender un phénomène complexe et multiforme, notamment en s’attardant à la construction de l’entre-soi. Le chapitre se clôt par un tour d’horizon de la constitution de la banlieue montréalaise. Le deuxième chapitre aborde la culture et les pratiques politiques qui ont cours dans ces milieux. L’auteur rappelle d’entrée de jeu la spécificité du régime municipal québécois – et canadien –, les municipalités étant de simples créations du gouvernement provincial. Il souligne ensuite que le monde municipal est essentiellement, pour la période étudiée, un monde d’hommes et de propriétaires et que la gestion entrepreneuriale est donnée comme la seule réponse aux maux de la culture politicienne qui règne à Montréal. Les trois chapitres suivants constituent le coeur de l’ouvrage. Il y est respectivement question de l’ordre des choses (la réglementation du milieu), de l’ordre social (la réglementation de la population), ainsi que de l’identité en contexte métropolitain. Bien que les trois municipalités retenues aux fins de l’étude présentent des différences parfois marquées du point de vue de leurs cadres géographiques, de leur situation par rapport à Montréal, de la composition de leurs populations et du rôle qu’y jouent certains acteurs de premier plan – on pense, entre autres, au Canadien Nord dans le cas de Mont-Royal –, toutes ont en commun la quête d’un idéal résidentiel et communautaire alimenté aussi bien par un pastoralisme teinté d’urbanité que par la critique de la ville industrielle et des nombreux maux dont elle est affublée. L’auteur montre que la prévalence de la fonction résidentielle à basse densité, la présence de parcs et d’espaces verts, l’interdiction ou la relégation dans des lieux moins attrayants des activités industrielles, de même que le contrôle architectural, y définissent l’assise d’un projet urbanistique qui se précise au long des décennies sur lesquelles porte l’ouvrage. Articulée à la notion de nuisance, la réglementation des activités et des comportements vise par ailleurs à renforcer la cohésion citoyenne et le caractère exclusif des municipalités. Ce faisant, les édiles pratiquent une forme de zonage social implicite dont Bérubé souligne qu’il …