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Presque un demi-siècle après la fin de l’enseignement classique québécois (1965-1970), ce livre fait globalement et assurément oeuvre utile en traçant des esquisses différenciées puisque les chapitres sont autonomes en eux-mêmes. Quatorze d’entre eux sur quinze ont en effet été publiés précédemment.

La thématique de base de l’ouvrage est d’étudier le concept de la formation de la masculinité à travers le prisme des collèges classiques québécois, eux qui ont formé notre élite pendant près de trois siècles et demi. Ces collèges ont par le fait même une immense importance dans notre histoire nationale canadienne jusqu’en 1840 environ, puis canadienne-française et québécoise depuis cette Révolution tranquille qui a mis fin à ce type d’enseignement. L’objectif était alors, entre autres, d’assurer une meilleure démocratisation de l’accès à l’éducation pour les adolescents québécois et… les adolescentes, le maillon le plus faible d’ailleurs de l’histoire de cet enseignement classique, ce dont les recherches évoquées ici sont le juste reflet en ignorant pratiquement ce phénomène tout à fait absent avant 1908 (Galarneau, 1978 ; Bouvier, 2005).

S’attardant principalement à la formation donnée par des prêtres séculiers à la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe des quelques institutions ciblées, tels les collèges de Montréal et de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, puis les séminaires de Nicolet, de Saint-Hyacinthe et de Sherbrooke, le livre est particulièrement novateur dans notre historiographie en ce qu’il s’intéresse aux pulsions et éveils sexuels des adolescents et, parfois, de leurs maîtres. À ce sujet, les auteurs remarquent une plus grande tolérance des autorités ecclésiastiques pour les « amitiés particulières » avant 1930 qu’après (p. 373).

Il est noté d’entrée de jeu que rendre compte du « collège, […] c’est toujours aussi penser le pouvoir et sa distribution changeante au sein de la Nation et de la société » (p. 14). L’ouvrage s’attaque de nombreuses fois aux phénomènes de la production et de la reproduction sociales favorisées ou non par la formation classique et même commerciale (pensons à Sainte-Anne-de-la-Pocatière à ses débuts) offerte à travers les nombreuses générations couvertes sans jamais offrir sur ces thèmes de données quantifiées. Plusieurs prémisses auraient pu servir d’assises : pensons aux études d’auteurs disposant peut-être de moins de moyens, tels les Galarneau, Simard et Riverain (1973), Lessard (1976-1980) ou Bouvier 2005-2007), sans oublier Pierre Bourdieu, souligné par la prose fertile et imaginative d’Ollivier Hubert (p. 113). Comme il l’évoque bien d’ailleurs, « la différence parait immense entre certaines représentations historiographiques et mémorielles et celle livrée par l’analyse quantitative » (p. 86).

Les études offertes par les trois historiens tracent la dichotomie entre, par exemple, le niveau de langue châtié que permet d’atteindre une formation basée sur l’étude du grec, du latin, de la poésie, du théâtre et une connivence soumise à l’Église, puis surtout au clergé catholique pour l’élite en devenir par rapport à une masse de la population qui vit une réalité de plus en plus industrialisée et, à plusieurs égards, américanisée. Ce qui est en jeu est le modèle du « vrai homme » (p. 107-108). Comme l’observe Louise Bienvenue, l’institution se définira longtemps elle-même et défendra ses prérogatives comme « la seule garantie de survie nationale » (p. 111), ce qui est bien sûr, vu du XXIe siècle, exagéré, mais néanmoins représentatif d’une très longue phase de notre histoire où notre survie même fut une crainte récurrente. Néanmoins et par-delà la réalité québécoise, partout en Occident, « des classes supérieures se sont accrochées à la culture classique, qui était la marque de leur prééminence. Aux États-Unis [par exemple], les savoirs modernes trouvent, il est vrai, plus tôt leur chemin dans les cursus traditionnels, mais les collèges privés entretiennent longtemps et préservent encore aujourd’hui l’amour des Grecs et des Romains » (p. 132). Les mêmes phénomènes s’observent jusque dans les années 1950 et 1960 en Angleterre, en Italie, en Allemagne et en France. « Quelque chose rend toutefois le Québec spécifique : il s’agit du quasi-monopole de l’Église sur les écoles privées francophones et du monopole absolu […] sur la formation latine » (p. 132).

Ce qui est vécu à l’intérieur de l’institution, que ce soit la réalité austère du pensionnat des internes, ce que représente la figure des maîtres ecclésiastiques ayant fait voeux d’obéissance et de chasteté, ou encore la réalité obscure et besogneuse des « petites soeurs » au ménage et à la cuisine sont autant de volets qui sont analysés en profondeur dans ce qui constitue en quelque sorte le coeur de l’ouvrage.

La troisième partie s’intéresse à tout ce qui touche, de près ou de loin, « La construction du masculin » favorisée par le collège classique. Ces différents chapitres sont des mains de deux historiennes, Christine Hudon et Louise Bienvenue, fait nouveau et révélateur d’une réalité contemporaine qui n’aurait sans doute pas été réellement imaginable au temps de l’enseignement classique et carrément impossible jusqu’au milieu du XXe siècle. La vision qu’elles ont de cette « masculinité » renouvelle certainement le genre au Québec.

Pour sa part, la quatrième partie fait faire bien du « kilométrage » à des prospectus des XIXe et XXe siècles et à un conventum tenu en 1885 pour les anciens du collège de Montréal, décrit et fouillé en lui-même comme un phénomène de classe, défenseur surtout de ses propres intérêts séculaires. Ensuite, la césure qui semble s’opérer autour des années 1930 est révélée par les historiennes Bienvenue et Hudon dans une analyse différenciée dont le dernier chapitre fait image. On y retrouve toutefois aussi un prolongement d’une trame continue quant à la conscience nationale dont se savait porteur l’enseignement classique québécois. « Dans le contexte des années 1920 et 1930, on ne devient pas homme pour soi, mais pour servir sa Patrie. On devient de ce fait soldat pour la défense de celle qui est fragilisée » (p. 387).

L’épilogue évoque le fait que la grande majorité des premiers ministres québécois depuis 1867 ont été formés dans les collèges ou séminaires. Une question, parmi d’autres, c’est certain, en émane en conséquence : « Une telle formation a-t-elle laissé une marque particulière, une couleur précise sur notre culture politique québécoise ? » (p. 394). Nous pouvons à bon droit présumer que oui, mais c’est un chantier qui est toujours en friche en effet.