Comptes rendus

Kennedy, Gregory M. W., Something of a Peasant Paradise ? Comparing Rural Societies in Acadie and the Loudunais, 1604-1755 (Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2014), 288 p.[Notice]

  • Catherine Desbarats

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  • Catherine Desbarats
    Département d’histoire, Université McGill

Avant la déportation de 1755, l’Acadie était-elle véritablement une sorte « d’éden paysan » ? L’expression est tirée de l’ouvrage d’Allan Greer, The People of New France (University of Toronto Press, 1997), et pour Gregory Kennedy, elle incarne un lieu-commun persistant, davantage tributaire d’auteurs romantiques du XIXe siècle que d’une recherche professionnelle approfondie. « Âge d’or acadien », « république de producteurs autosuffisants », pour Kennedy qui les recense dans son introduction, ce sont autant de formules typiques du flou nostalgique enveloppant la société rurale acadienne des XVIIe et XVIIIe siècles. Pour dissiper ce brouillard apparent, Kennedy invoque l’inspiration des Annales, et propose une démarche comparative. La société rurale acadienne sera contrastée avec celle du Loudunais, zone frontalière française entre le Poitou et la Touraine. C’est le lieu d’origine de Charles de Menou d’Aulnay, l’un des premiers seigneurs et gouverneurs de l’Acadie, et vraisemblablement de la vingtaine de familles qu’il recrute pour la colonisation dans les années 1640. Cette génération souche sera la première à récupérer les marais autour de Port Royal pour des fins agricoles, et figurera parmi l’élite sociale et politique de la communauté acadienne. Ironie relevée par l’auteur, ces migrants quittent une zone frontalière qui se calme après plusieurs siècles de conflits militaires, pour en regagner une autre qui s’enflamme. Deux premiers chapitres, sur les environnements « naturels » et « politico-militaires », font particulièrement bien ressortir certains aspects peu paradisiaques de l’Acadie : le climat de la fin de la petite ère glacière était plus froid que celui que nous connaissons de nos jours ; au moins à trois reprises, les inondations brutales de la fin de l’ère du Minimum de Maunder (c. 1690-1715) détruisent en quelques minutes le travail d’endiguement de plusieurs années. Et si l’Acadie se voit ballotée entre empires bien avant le traité d’Utrecht, il ne s’agit pas d’un jeu d’échec théorique mené par des instances lointaines. Les paysans seront réquisitionnés ; on exigera d’eux un service de milice ; certains d’entre eux verront leurs terres brûlées, notamment pendant la guerre de Succession d’Espagne. Fuyant les conflits, ils se déplaceront, et recommenceront à zéro le travail acharné de récupération des marais. Pour éviter de tels risques, ils formeront des communautés dispersées. Les paysans acadiens possèdent certains avantages par rapport aux habitants ruraux du Loudunais, mais à bien des égards, selon Kennedy, ils se ressembleraient. Grâce au travail intense d’endiguement, donnant lieu à des terres très fertiles, les Acadiens peuvent se nourrir à partir de surfaces cultivées plus modestes, sans rotation, jachère ou engrais, et sans le besoin d’ensemencer des parcelles éloignées les unes des autres. Les pâturages abondants leur permettent aussi de posséder d’importants cheptels. En revanche, ils souffrent d’accès moins aisés aux marchés extérieurs, que ce soit celui de Boston, ou de celui, clandestin, de Louisbourg. Des deux côtés de l’Atlantique, on retrouve une hiérarchie rurale. En Acadie, une minorité se distingue par des terres et des cheptels cinq fois plus grands que ceux de leurs confrères plus pauvres. Le niveau de vie de cette élite agricole, qui fournit aussi les notaires et les élus dans les assemblées paroissiales ou communautaires, se compare aussi favorablement à celui de la grande majorité des paysans du Loudunais. En dépit de leur réputation d’avoir été particulièrement « libres » ou « démocratiques », les institutions de gouvernance locale de l’Acadie ressembleraient aussi à bien des égards à celles qui perdurent dans le Loudunais. La seigneurie acadienne (qui comprend d’importants droits aux pêcheries et aux fourrures) ne serait pas non plus une lettre morte pendant le Régime français en Acadie, alors …