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Homme attachant, à l’esprit vif et au sens de l’humour aiguisé, Paul Caron avait l’ambition de devenir journaliste. Né à Montmagny en 1889, il obtient un emploi de sténographe pour le journal Le Devoir en décembre 1909. Caron devra cependant attendre cinq longues années avant que se réalise son rêve d’être publié. La Grande Guerre lui permettra aussi de réaliser un autre rêve de jeunesse, celui de servir sous le drapeau français. L’anti-impérialiste affiché préfère effectivement joindre la Légion française à l’été 1914 plutôt que de se battre sous le drapeau britannique. Son raisonnement : il s’agit de protéger la culture française contre les fléaux de l’impérialisme et du militarisme.

La trajectoire de guerre de Paul Caron se démarque de la grande majorité des Canadiens qui servent outre-mer. Il serait l’un des 26 Canadiens qui ont combattu dans les rangs de la Légion étrangère. Transféré dans les troupes françaises régulières en août 1915, il est promu caporal-fourrier le 24 février 1916, puis aspirant le 5 septembre suivant. La guerre de Paul Caron se termine le 16 avril 1917, pendant la désastreuse offensive du Chemin des Dames, qui coûta la vie à des centaines de milliers de soldats des troupes françaises et des troupes allemandes.

Bien que le parcours de Caron soit particulier, son récit s’accorde en plusieurs points avec ceux laissés par les hommes qui se sont enrôlés dans le Corps expéditionnaire canadien : il parle du sentiment d’appartenance qui l’unit aux camarades de ses unités, de l’incertitude quotidienne et des petits plaisirs associés à la vie de soldat, de l’incertitude face à l’avenir, de son insensibilisation progressive face à la mort. En d’autres occasions, ses écrits se démarquent : il consacre de nombreuses pages aux travailleurs agricoles et à l’impact de la guerre sur le quotidien des Français, en région comme à Paris. C’est souvent l’occasion de faire des comparaisons avec la vie à Québec avant la guerre et peut-être aussi de passer des messages. Nous doutons que ce soit par hasard qu’il cite une phrase qu’aurait dite son capitaine en septembre 1915 sur la façon de se comporter avec les civils français : « Si vous rencontrez de ces gens qui trouvent que les choses traînent en longueur […] dites-leur ceci : “Si vous veniez nous donner un coup d’épaule, peut-être que ça irait plus vite” ». Alors que les efforts de recrutement s’amenuisent déjà au Canada à l’automne 1915, on peut soupçonner que ce message transcrit par Caron ne s’adressait pas seulement aux Français. Ces messages sont bien subtils cependant puisque comme il le sait très bien, ses chroniques sont publiées dans deux journaux aux visées politiques opposées : le Peuple de Montmagny, fervent partisan de l’enrôlement militaire, et Le Devoir, journal nationaliste très critique face à l’effort de guerre.

Qu’est-ce qui fait l’originalité de « la guerre de Caron » dans la guerre ? Il justifie son combat pour une France qui s’apparente davantage au Canada français, construisant dans ses lettres une guerre culturellement et socialement acceptable pour ses compatriotes. Caron consacre en effet de nombreuses lignes aux Français (et surtout aux Françaises) de l’arrière, qu’il présente comme des êtres généreux, hospitaliers, reconnaissants et qui en cette heure difficile sont retournés aux valeurs chrétiennes. C’est à cette « guerre expiatrice », qui assurera le salut de la France, que Caron veut participer. Ses écrits nous en apprennent donc autant sur sa vision personnelle de la guerre que sur la culture de ses lecteurs.

Touchantes et instructives, les lettres du Canadien français Paul Caron sont enrichies par le travail d’édition remarquable de l’historienne Béatrice Richard. En plus de situer les écrits de Caron dans leur contexte géographique, les commentaires de l’historienne sont éclairants et témoignent à la fois de sa maîtrise de l’histoire militaire et de l’histoire du Québec et de la France au temps de la Grande Guerre.

Comme le reconnaît l’auteure dans son introduction, la question de l’intégrité des sources se pose. Les écrits examinés sont des extraits de lettres que Paul Caron a fait parvenir à sa soeur Mélidine Caron, journaliste au Peuple de Montmagny. Ses lettres sont retranscrites par Mélidine et les originales n’ont pas été retrouvées. Les a-t-elles retouchées ? Les documents à l’appui semblent confirmer qu’elle en sélectionné les extraits publiés. Une autre question importante : jusqu’à quel point Paul s’auto-censure-t-il pour se conformer aux idéaux de sa soeur ainée, qui l’a élevé dans une stricte obéissance catholique après la mort prématurée de leurs parents ?

Ces mises en garde sont légitimes, soit, mais il n’en demeure pas moins que cet ouvrage constitue un ajout considérable à l’historiographie francophone de la Grande Guerre au Canada. La Grande Guerre de Paul Caron nous propose un récit fascinant qui nous rappelle toute la complexité du tissu social canadien en 1914.