Comptes rendus

Barman, Jean, French Canadians, Furs, and Indigenous Women in the Making of the Pacific Northwest, Vancouver, UBC Press, 2014, 472 pages[Notice]

  • Alexandre Michaud

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  • Alexandre Michaud
    Candidat au doctorat, Université d’Ottawa

Jean Barman, professeure émérite de l’Université de la Colombie-Britannique, a déjà marqué la recherche en histoire du Nord-Ouest pacifique (Oregon, Washington, Colombie-Britannique). On lui doit notamment une contribution remarquable à la diversification de l’histoire de la Colombie-Britannique. Historienne des gens ordinaires, elle combat avec succès le mythe d’une histoire unidimensionnelle qui tend à ne desservir que la culture dominante à l’ouest des Rocheuses canadiennes. Elle récidive dans son dernier ouvrage, French Canadians, Furs, and Indigenous Women in the Making of the Pacific Northwest, qui a notamment été récompensé par le prix Sir-John-A.-Macdonald. Dans ce livre, elle met en valeur la présence et la contribution des Canadiens français, de leurs partenaires autochtones et de leurs descendances à une époque charnière du Nord-Ouest pacifique. Avec une batterie de documents d’époque, elle couvre principalement la période proto-coloniale de la région (de 1793 à 1858). Le coeur de sa thèse repose sur un échantillonnage de 1240 individus ayant des noms à consonance canadienne-française. L’édition contient trois parties de quatre chapitres chacune. Barman montre que les Canadiens français ont joué un rôle majeur dans certaines expéditions coloniales britanniques et américaines. C’est notamment leur expertise dans le commerce des fourrures qui a permis la réussite des expéditions des années 1793 à 1812. Selon l’auteure, ce soutien a favorisé l’acquisition américano-britannique de la côte nord-ouest du Pacifique et la mise en échec des visées russo-espagnoles dans la même région. Dans cette veine, elle explique avec élégance l’influence des gens ordinaires sur les grands moments de l’histoire. De manière convaincante, elle soutient que les premiers voyageurs non autochtones des États de Washington, de l’Oregon et de la Colombie-Britannique étaient des Canadiens français. Les récits portant sur certains Canadiens français comme Toussaint Charbonneau et son fils (p. 36) illustrent leur mobilité et leur parcours exceptionnel. Soutenus par le capital des compagnies de fourrure, grâce à leur persévérance ainsi qu’à leur grand nombre, ils ont permis l’ouverture de la région à l’économie des fourrures (p. 6). Selon Barman, près des deux tiers de ces Canadiens français ont décidé de rester au nord-ouest des Rocheuses. C’est là qu’ils fondent des familles avec leurs femmes indigènes, combinant interculturalisme et pragmatisme (p. 165). Dans certaines vallées, comme dans celles de Willamette, Fort Colvile, Fort Victoria ou de la Nouvelle-Calédonie, ils s’établissent et pratiquent avec succès une agriculture « that was not wholly indigenous » (p. 318). L’apparition d’une agriculture à l’occidentale en ces contrées n’est pas un « exploit » américano-britannique. Ce qui lui permet de remettre en question le discours exclusif et triomphaliste anglo-saxon. D’ailleurs, la prospérité générée par l’établissement agricole canadien-français dans la vallée de Willamette en surprendra plus d’un (chapitre 7). Barman avance ensuite une proposition audacieuse (p. 194) : la présence canadienne-française dans le pays de l’Oregon (1818-1846) a permis à la Grande-Bretagne de résister aux visées américaines et a ainsi favorisé la conservation d’une côte Pacifique aujourd’hui devenue canadienne. Elle met l’accent sur les pionniers eux-mêmes plutôt que sur les décideurs basés à Washington ou à Londres (comme l’influente Compagnie de la Baie d’Hudson). Aussi établit-elle un lien peut-être discutable ou qui mériterait d’être étoffé. On peut présumer que c’est plutôt l’appel des profits provenant des fourrures qu’un sentiment de bienveillance envers les locaux non autochtones qui a poussé cette compagnie à conserver ce qui deviendra la Colombie-Britannique (p. 203). Enfin, pour compléter son argument principal sur l’importance de la contribution des Canadiens français et de leurs femmes autochtones, Barman insiste sur la persistance dans le temps de leur héritage mixte qui fait d’eux (parfois à leurs dépens) des intermédiaires culturels entre colons américano-britanniques et Autochtones. De …