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Il y a cent ans, au cours de la Première Guerre mondiale, les hommes du 22e Bataillon canadien-français nouvellement créé s’illustraient sur les champs de bataille d’Europe. Vingt-cinq ans plus tard, lors de la Deuxième Guerre mondiale, ils récidivaient sous le nom de Royal 22e Régiment. De leur nombre, trois seront récompensés par l’ultime honneur militaire britannique, la Croix de Victoria  : Joseph Kaeble et Jean Brillant, durant la Première Guerre mondiale, et Paul Triquet, durant la Deuxième.

Dans Trois histoires de bravoure, Luc Bertrand, diplômé de sciences politiques et prolifique auteur de biographies, romans et essais, s’efforce de mettre en lumière ces trois Canadiens français mal connus. L’auteur annonce ses couleurs lorsqu’il écrit : « ce livre s’adresse moins aux spécialistes des questions militaires ou aux historiens autoproclamés “professionnels” » (p. 5).

L’objectif de l’auteur est donc de sortir de l’ombre ces héros militaires canadiens-français. Son intérêt pour le sujet remonte à très loin puisqu’il raconte, en introduction, avoir été fasciné par ces « oubliés » de l’histoire depuis l’été 1975, alors qu’il avait 14 ans et qu’il visitait le musée du Royal 22e Régiment. Le reste de l’ouvrage sera teinté de cette fascination et de ce désir de communiquer son admiration pour les exploits militaires des trois soldats.

L’ouvrage se découpe en cinq chapitres. Dans le premier, Bertrand présente un survol de l’histoire de la Croix de Victoria. Il explique les conditions d’obtention de la médaille créée en 1856. Si cet honneur est réservé à un « acte de bravoure remarquable » (p. 16), il innove par son caractère démocratique, pouvant être attribué à l’officier comme au simple soldat. Le chapitre se termine par une réflexion très intéressante sur les enjeux politiques et sur les incohérences qui entourent parfois l’attribution de la Croix de Victoria. Malheureusement, cette réflexion n’est pas poussée plus loin et elle ne sera pas ou peu transposée dans l’analyse des cas de Kaeble, Brillant et Triquet dont l’auteur ne remet jamais en question les mérites.

Le second chapitre présente le contexte ayant entouré la création d’un bataillon francophone en 1915 : le fameux 22e Bataillon canadien-français. L’auteur traite de la question de l’engagement, ou plutôt celle du non-engagement, des Canadiens français dans l’armée lors des deux conflits mondiaux. Il tente, à l’instar de plusieurs historiens, de remettre en question le mythe de l’opposition canadienne-française à l’engagement militaire et d’expliquer la faible proportion de ceux-ci ayant choisi de se porter à la défense de l’Angleterre. Cette section, bien que succincte, réussit à bien résumer l’historiographie tout en demeurant accessible aux néophytes de l’histoire. Il poursuit en présentant les premiers exploits du 22e dans la guerre. C’est à ce moment que la recherche perd de sa rigueur ; une présentation critique des sources aurait contribué à donner davantage de crédibilité aux propos de l’auteur. Les témoignages se succèdent sans regard critique, ni contexte. Cette situation persiste malheureusement dans les chapitres biographiques qui suivent.

Le chapitre trois concerne le caporal Joseph Kaeble. Ce dernier a reçu la Croix de Victoria à titre posthume pour avoir tué une cinquantaine d’Allemands au cours d’une seule attaque. En juin 1917, il serait sorti de sa tranchée pour mitrailler des ennemis, qui avançaient vers ses camarades et lui-même, mettant sa propre vie en péril. Il sera touché plusieurs fois par les balles ennemies et mourra le lendemain.

La Croix de Victoria de Kaeble sera remise à sa mère le 16 décembre 1918 lors d’une cérémonie commune avec la famille du lieutenant Jean Brillant, le sujet du quatrième chapitre. Ce dernier a reçu l’ultime honneur pour être volontairement retourné au combat trois fois après avoir été blessé (et donc avoir pu cesser le combat). Sa croix lui fut aussi décernée à titre posthume puisqu’il s’écroulera sur le champ de bataille après que des éclats d’obus lui eurent déchiré le ventre.

Le major Paul Triquet est le sujet du cinquième chapitre. Ce soldat est le plus étudié des trois, d’abord parce qu’il fut actif durant la Deuxième Guerre mondiale et aussi parce qu’il survivra à cette guerre. Bertrand fait bon usage des recherches déjà menées à son sujet, notamment la biographie rédigée par John MacFarlane (2011). C’est en décembre 1943, à la Casa Berardi en Italie, que Triquet se distinguera, alors qu’à titre de capitaine, il encouragera ses hommes à tenir le coup et à repousser des attaques durant cinq jours dans l’attente de renforts. Le tableau se noircira dans l’après-guerre, alors que Triquet sera accusé d’être un pantin employé par les gouvernements afin de stimuler la mobilisation des Canadiens français. Cette situation forcera Bertrand à aborder plus directement les causes politiques de l’attribution de la Croix de Victoria, mais il le fera seulement, semble-t-il, pour nous rassurer sur le mérite de Triquet, un héros incompris.

Du début à la fin, la partialité de Luc Bertrand pour son sujet est évidente, il ne s’en cache pas. Malheureusement, le traitement de ces Trois histoires de bravoure est, à mon avis, mal servi par le discours chauvin de l’auteur. Un malaise persiste chez le lecteur qui ne partage pas son enthousiasme quant aux faits d’armes et à la noblesse guerrière des récipiendaires canadiens-français de la Croix de Victoria. Le principal mérite du livre est d’effectivement réussir à éclairer son sujet et de réunir les biographies dans une sorte de triptyque de l’héroïsme canadien-français. Les textes empreints d’émotions et de patriotisme sont intéressants. Les cartes, dessins, lettres et photographies présentés sur papier glacé au centre du livre rajoutent à l’accessibilité de l’ouvrage. Les nombreux extraits de correspondances et les témoignages de la famille et des amis des trois hommes recueillis par Bertrand sont touchants. Toutefois, la crédibilité de ces témoignages est rarement soumise à un examen critique et, sans doute dans le but de rendre l’ouvrage plus accessible, les biographies prennent parfois des apparences narratives plutôt que documentaires. Finalement, l’auteur a sans doute raison de dire qu’il ne s’adresse pas aux « historiens autoproclamés “professionnels” » (p. 5). Néanmoins son ouvrage reste intéressant sur plusieurs points. Il ouvre aussi la voie pour qu’une étude plus approfondie voit le jour.