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Publié au début du centenaire de la Première Guerre mondiale, Le Québec dans la Grande Guerre visait à faire le point sur les connaissances, à approfondir le questionnement et à explorer de nouvelles pistes de recherche concernant les effets de la Première Guerre mondiale sur le Québec et ses habitants. Treize chercheurs ont produit des courts articles – de 5 à 20 pages chacun – regroupés en trois parties : l’engagement et l’expérience combattante, le refus de la conscription et l’effort de guerre ainsi que l’héritage de la Grande Guerre au Québec.
La partie Engagements aborde a priori des thématiques mieux connues, telles que la mobilisation canadienne-française, la formation du 22e bataillon ainsi que les retombées politiques de la crise de la conscription. Elle regroupe aussi des recherches novatrices. Nous avons particulièrement apprécié l’article de Jean Lamarre, qui discute de la présence franco-américaine dans l’armée américaine à partir du printemps 1917. Lamarre nous initie à deux sources peu connues : les lettres d’Antoine Jobin à sa mère et le journal personnel d’Albert Béliveau. Les deux hommes, qui s’enrôlent dans l’armée américaine à l’été 1917, sont issus de familles canadiennes-françaises établies sur la côte est américaine. Jobin, d’origine bourgeoise, sera interprète auprès du général James F. Bell, entre autres. Quant au soldat Béliveau, qui arrive en France au début 1918, son journal offre des réflexions intéressantes sur les Canadiens français, la conscription au Canada et les vues britanniques sur les « coloniaux ». Un article aussi court ne peut qu’aiguiser notre appétit, mais les résultats initiaux nous font espérer que le sujet sera approfondi davantage.
La section Refus de l’ouvrage s’ouvre en force. L’historienne Béatrice Richard y propose de revisiter l’image, bien ancrée dans la mémoire collective, des Canadiens français « victimes » de la crise de la conscription. L’auteure dresse un portrait des tactiques de résistance employées par la population canadienne-française sur le terrain. Si l’historiographie nous donne l’impression que la poussière a retombé après les émeutes de Québec, Richard soutient que la contestation populaire a pris d’autres formes, notamment l’aide populaire aux conscrits réfractaires ou des lettres aux autorités officielles. Ce chapitre nous conforte aussi dans notre conviction qu’un réexamen des sources originales est nécessaire pour reconstruire les événements de la fin de semaine de Pâques 1918. En effet, notre analyse comparative préliminaire de l’ouvrage Québec sous la loi des mesures de guerre (1971) de Jean Provencher, cité comme source principale par de nombreux historiens incluant Richard, et des rapports de l’enquête du coroner Jolicoeur, souligne des disparités importantes, sinon inquiétantes, qui doivent être étudiées de près.
Fort pertinente, aussi, la contribution de Magda Fahrni sur le travail industriel au Québec en temps de guerre. L’auteure traite de facettes très peu connues de l’industrie de guerre au Québec entre 1914 et 1918. Les rapports du ministère provincial des Travaux Publics et du Travail, une source principale de l’article, témoignent d’accidents industriels qui entraînent des pertes de vie considérables suivant des explosions dans les usines de munitions. Ces accidents sont souvent attribués au fait que nombre d’employés sont jeunes et inexpérimentés. Selon l’auteure, le travail des enfants et des adolescents dans les usines de guerre est répandu et un ordre en conseil est même imposé en 1918 qui permet le travail de nuit des femmes et des filles de plus de 18 ans.
La dernière partie du collectif souligne certains héritages de la Grande Guerre au Québec. Une contribution de Carl Bouchard d’abord, qui s’attarde aux écrits pacifistes retrouvés dans deux périodiques du Québec de l’entre-deux-guerres. L’influence de la Première Guerre mondiale sur le nationalisme québécois est ensuite abordée par Charles-Philippe Courtois. Mourad Djebabla termine par un bref survol de l’évolution des commémorations du 11 novembre au Québec et au Canada de 1919 à 2014.
Ce collectif offre donc au lectorat francophone un aperçu des recherches actuelles et des pistes de recherche potentielles sur le Québec et la Grande Guerre. Nous en avons relevé plusieurs que nous trouvions pertinentes et nous conclurons en en invoquant deux autres que nous considérons dignes de mention : pour mieux comprendre la crise de la conscription au Québec, tel que souligné par Courtois, il est grand temps de procéder à un examen du contexte d’adoption ou de refus de cette mesure controversée dans l’ensemble de l’Empire britannique. Dans le même sens, l’historien français Nicolas Offenstadt suggère, en conclusion, que l’historiographie sur la Grande Guerre et le Québec profiterait largement de plus d’ouverture et de comparaisons avec d’autres historiographies. Des suggestions qui nous semblent, somme toute, fort pertinentes.