Comptes rendus

Deschamps, François, La « rébellion de 1837 » à travers le prisme du Montreal Herald. La refondation par les armes des institutions politiques canadiennes, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2015, 270 pages[Notice]

  • Éric Bédard

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  • Éric Bédard
    Professeur, TÉLUQ (Université du Québec)

En 1837, les « patriotes » sont loin de faire face à un bloc anglophone homogène, explique François Deschamps dans un ouvrage fort bien documenté, tiré d’un mémoire de maîtrise. « Minorité d’une minorité », leurs principaux adversaires appartenaient à une frange « ultra-tory », une faction de la Constitutional Association of Montreal (CAM), dont les idées étaient relayées par le Montreal Herald. À la suite de l’historien Maurice Séguin, le chercheur soutient que les affrontements de 1837 résultent d’un double soulèvement : celui de patriotes qui ne tolèrent plus le dysfonctionnement des institutions coloniales, assez bien documenté par l’historiographie ; et celui, moins étudié, d’une minorité hostile à la politique de conciliation du gouverneur Gosford, convaincue d’avoir été abandonnée par le Colonial Office et la coalition whig-radicale au pouvoir à Londres. Or si cette minorité l’emporte, dans le climat de confusion qui caractérise les affrontements de l’automne 1837, ce serait en grande partie grâce à une fructueuse alliance qu’elle aurait scellée avec l’armée britannique. Comment cette alliance en serait venue à s’opérer, concrètement ? Réponse du chercheur : grâce aux loges orangistes et maçonniques qui auraient servi de « point de jonction entre les civils britanniques de souche et les régiments » (p. 19). La thèse de François Deschamps est aussi simple que forte : 1837 serait le « coup d’État orangiste » (p. 14) réussi d’une junte militaire. Pour étayer cette thèse forte, l’auteur a écumé les mémoires les plus importants de la CAM publiés entre 1834 et 1838 et toutes les éditions disponibles du Montreal Herald. Fondé en 1811 sous l’administration du gouverneur James Craig, ce journal est surtout connu pour les philippiques anti-canadiennes-françaises d’Adam Thom, ce professeur d’hébreu et de langues orientales arrivé au Bas-Canada en 1832. George Weir Jr., directeur du journal durant les années 1830, rarement cité par les historiens, y publie également nombre de textes importants sur lesquels s’attarde le chercheur. On savait que plusieurs éditions du Montreal Herald avaient disparu, lors d’un incendie. Or le mérite de François Deschamps est d’avoir redécouvert plusieurs d’entre elles dans des scrapbooks de contemporains des années 1830, légués en 1887 et en 1962 à la collection des livres rares de la bibliothèque McLennan de l’Université McGill. Les textes n’étaient pas toujours datés, mais leur contenu donnait une bonne idée du contexte général et permettait de suivre les idées de cette frange radicale. L’ouvrage est divisé en six chapitres mais contient surtout deux parties. La première, que l’on retrouve dans le premier chapitre, retrace l’évolution de la pensée de ce groupe d’activistes ; la seconde offre un récit plus chronologique des événements, tels que vus et analysés par les animateurs du Montreal Herald. Les extraits cités par Deschamps sont souvent saisissants. La hargne anti-canadienne donne souvent froid dans le dos. Si leur pensée et les analyses de ces tories évoluent au fil des mois, une certaine cohérence se dégage. On est par exemple frappé par leur conviction, martelée jusqu’à plus soif, de faire partie d’une minorité assiégée qui ne pouvait compter que sur elle-même pour assurer ses arrières et faire triompher sa conception particulière de l’Empire. Après la victoire des patriotes, lors des élections de 1834, ses porte-parole sont convaincus que la voie électorale est sans issue, l’assemblée législative étant devenue « l’organe du parti français » (cité p. 28), un parti auquel on ne pouvait faire confiance pour assurer le maintien de la connexion impériale. Conduit par des démagogues, ses dirigeants profitaient de l’analphabétisme de paysans vulnérables, captifs de leurs discours enflammés contre les progrès que les classes éclairées souhaitaient instaurer dans la …