Comptes rendus

Gagnon, Serge, Familles et presbytères au Québec (1790-1830), Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2013, 174 pages[Notice]

  • Jean-René Thuot

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  • Jean-René Thuot
    Université du Québec à Rimouski

Avec Familles et presbytères, l’historien Serge Gagnon signe le troisième et dernier volet d’un triptyque centré sur l’étude des dynamiques socioreligieuses à l’oeuvre dans les communautés rurales bas-canadiennes. Spécialiste des moeurs catholiques, l’auteur y poursuit l’exploitation d’un formidable matériau de recherche accumulé au fil de sa carrière de chercheur, à savoir les riches correspondances et registres des institutions religieuses, qui offrent un accès privilégié à l’existence des sociétés préindustrielles. Le pari a certes été fructueux jusqu’à présent, l’auteur ayant produit une relecture stimulante de la pratique catholique bas-canadienne (Quand le Québec manquait de prêtres, 2006), en plus de restituer de manière fort éclairante l’écosystème de la gestion des cures paroissiales (L’argent du curé de campagne, 2010). La dernière oeuvre s’inscrit en droite ligne avec ces précédents ouvrages, dans la mesure où la figure du prêtre apparaît comme le fil conducteur de l’analyse. Au fil des pages, l’historien restitue toute l’importance du presbytère comme lieu de sociabilité fondamental et espace de conciliation dans la construction de la culture catholique locale. L’insertion dans le titre du concept de familles traduit la volonté de l’auteur de dépasser la perspective « administrative et gestionnaire » des activités des prêtres pour rendre compte du tissu social dans lequel leurs parcours s’imbriquent. L’objet presbytère apparaît ici comme une interface avec les communautés canadiennes, un truchement par lequel l’auteur fait émerger le dialogue entre les prêtres et les autorités étatiques, les sociétés locales et les réseaux familiaux – auxquels ils participent eux-mêmes. L’historien présente ainsi la maison curiale successivement comme un projet communautaire, un lieu de défense des droits de cette même communauté et enfin une plate-forme de transit pour les familles des prêtres. Les trois parties qui constituent l’ouvrage sont en phase avec ces thématiques. Le premier chapitre (« Enjeux du presbytère ») aborde les aspects relatifs à l’aménagement, à l’entretien et à l’occupation des maisons curiales. En retraçant dès le départ les tribulations qui conduisent à clarifier le processus administratif qui encadre l’érection de ces bâtiments à compter de la période bas-canadienne, l’auteur fait oeuvre utile pour les futures générations de chercheurs. Les pages concernant les presbytères inoccupés (p. 38-52) révèlent des situations inattendues, tandis que celles sur les multiples négociations autour du partage de la maison curiale lorsqu’elle est occupée par des prêtres (p. 52-64) lèvent le voile sur des réalités méconnues, conséquences du manque de prêtres et de la pauvreté générale qui prévaut à cette époque. Mais au-delà de ces tableaux, le chapitre premier se veut d’abord et avant tout une illustration de la manière dont les curés assoient leur figure d’hommes de pouvoir à travers les projets de construction des presbytères. Le second chapitre (« Maison curiale et classes sociales ») s’intéresse de plus près à l’identité des prêtres qui occupent des cures dans la vallée du Saint-Laurent entre 1790 et 1830. L’historien, par le biais d’un exercice prosopographique, invite à découvrir les milieux d’origine des curés, et par le fait même nous permet d’apprécier l’évolution du recrutement aux cures dans la période d’enquête. La majeure partie de l’analyse contenue dans ce chapitre repose toutefois sur l’examen de l’attitude affichée par les curés lors de l’enquête sur les possibilités d’établissement des Canadiens français, menée dans le cadre du recensement de 1821. L’auteur observe une assez forte corrélation entre le bagage de valeurs défendues par les prêtres et leur milieu d’origine. En effet, les prêtres dont la famille entretient des liens avec les élites seigneuriales – lesquelles partagent le plus souvent les vues des autorités coloniales – accordent moins de crédibilité aux récriminations des familles paysannes, l’inverse se …