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Si cet ouvrage de près de 700 pages se veut un ensemble d’« essais » (le pluriel étant utilisé ici pour mieux souligner les diverses questions abordées), il s’agit avant tout d’un « outil » (dixit son auteur), fort légitime et utile au demeurant, sur les fondements historiques du droit québécois. David Gilles fait oeuvre de synthèse, selon lui non achevée, mais devenue nécessaire par le renouvellement historiographique (de la recherche québécoise et sans négliger la bibliographie internationale) de ces dernières décennies.
L’ouvrage est classiquement divisé en deux parties : l’une sur le droit sous le Régime français, l’autre sur le droit et son évolution depuis la Conquête britannique, avec en point d’orgue, la constitution d’un droit mixte, principalement en matière civile, mêlant tradition civiliste et Common Law et dû au combat des juristes franco-canadiens à partir de la fin du XVIIIe siècle et à l’influence de la codification disons « à la française » au siècle suivant. Son principal intérêt réside, selon nous, dans le fait de montrer que le droit, depuis l’époque de la Nouvelle-France, a toujours été un droit en mouvement, dans un processus d’adaptation-appropriation (d’acculturation ?) cher à l’auteur. Déjà du temps du Régime français, le droit importé de métropole, donc en principe le droit commun, a su être réformé pour mieux coller aux réalités et besoins de la colonie française d’Amérique. On comprend alors aisément les singularités du droit québécois contemporain dans le système juridique canadien. L’auteur ne néglige pas certains éléments propres au droit colonial, comme la question des esclaves dont le sort n’est alors pas tout à fait celui de leurs homologues d’autres espaces français. Pourquoi ne pas avoir abordé le problème des droits des Autochtones autrement qu’au travers des seules intéressées ?
Le lecteur pourra effectivement objecter quelques menues remarques : quelques inévitables manques bibliographiques et la quasi-absence des questions pénales sous le Régime français (davantage abordées après 1763, mais qui ignorent le pluralisme de la pratique pour s’en tenir plus volontiers aux grands débats politiques). Surtout, on peut s’étonner de trouver un chapitre préliminaire sur les racines juridiques « plurielles » (ancien droit français, droit anglais de la période moderne), notamment les pages consacrées au droit romain (antique). En effet, si le vaste droit romain de la période classique ou celui de Justinien peut être considéré comme le lointain fondement historique du droit français des XVIIe et XVIIIe siècles, comme il sert de base intellectuelle dans l’élaboration d’un droit mixte lors de la période suivante, on peut douter qu’il s’agisse réellement du même droit tant le temps a fait son oeuvre. David Gilles le montre d’ailleurs bien dans la suite de l’ouvrage lorsqu’il développe la « réinvention » du droit romain en matière de responsabilité à la fin du XIXe siècle. À la vérité, n’est-ce pas tout le droit romain qui avait déjà, dans les siècles antérieurs, fait l’objet d’une re-fondation ? On comprend aisément que l’auteur a voulu rappeler aux lecteurs moins avertis en la matière les principaux éléments du droit romain sur lesquels glose tant la doctrine civiliste locale dès la fin du XVIIIe siècle, ce qui aurait peut-être pu être fait au fur et à mesure des points de droit abordés dans les parties principales.
Quoi qu’il en soit, sachons gré à l’auteur d’avoir globalement transformé son essai appelé à figurer parmi la bibliographie des recherches à venir en histoire du droit et en histoire judiciaire du Québec.