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On doit ce livre de plus de 400 pages, Histoire de l’assurance de personnes, à un chercheur autonome, Jacques Saint-Pierre, et à un professeur, Martin Petitclerc (UQAM), sans oublier la professeure Diane Saint-Pierre (INRS) qui en a eu l’idée et dont l’avant-propos rend compte de l’appui du milieu. Les trois auteurs livrent une synthèse historique hybride : une oeuvre scientifique et de vulgarisation destinée à faire avancer la recherche, la formation professionnelle et même l’éducation citoyenne d’autant que « l’assurance de personnes s’est intégrée peu à peu dans la vie des gens comme une nécessité » elle qui, « souscrite à titre individuel ou dans le cadre d’un régime collectif, vise à couvrir des individus contre la maladie, l’invalidité, l’accident et le décès ». (p. XXV).
L’ouvrage très détaillé est parsemé d’encarts et de figures, de tableaux et de graphiques. Si les sources sont indiquées en notes de bas de page, une bibliographie aurait aussi été appréciée de même qu’un index. Les six chapitres abordent autant d’étapes franchies par les acteurs de l’assurance de personnes.
Dans le premier, le thème « les solutions capitaliste et mutualiste de l’assurance de personnes jusqu’en 1880 » est développé au travers : la prédominance des compagnies d’assurances étrangères (débuts timides des compagnies britanniques, expansion après 1850, concurrence des compagnies américaines, compagnies canadiennes), la naissance de la mutualité québécoise (origines de la mutualité, premières sociétés québécoises de secours mutuels, 1789-1850, mutualité et pouvoirs publics, existence très précaire). Dans cette phase d’émergence, observons la différenciation des acteurs par la propriété : étrangère ou nationale, capitaliste ou mutualiste.
Dans le deuxième, 1878-1901, le thème « une expansion désordonnée » est présenté au travers : les compagnies (législation, expansion des compagnies à primes fixes et graduées, gestion des compagnies, parts de marché), les sociétés fraternelles et la mutualité « scientifique » (assurance sur la vie et capitalisation, mutualité fraternelle d’origine étrangère, mutualité fraternelle québécoise, syndicats, entreprise et assurance maladie, mutualité et État). Dans cette phase d’expansion, relevons une différenciation supplémentaire par la pratique de tarification : fixe ou graduée.
Dans le troisième, 1901-1929, le thème « des institutions et des pratiques mieux encadrées » est traité au travers : l’assurance sur la vie sous enquête (impact de l’enquête américaine Armstrong de 1905, enquête canadienne McTavish et ses conclusions, loi canadienne des assurances de 1910), l’assurance comme levier économique (produit du nationalisme ; placement des capitaux, principales compagnies), la mutualité d’affaires (« siècle des associations ». État, principes actuariels et identité mutualiste, sociétés fraternelles et augmentation des primes, déclin de l’assurance maladie), un marché en expansion (vente de l’assurance, assurance collective et rentes viagères, profil des assurés, admission des femmes et des enfants). Dans cette phase de normalisation, la différenciation semble tenir à l’adoption ou non des meilleures pratiques de capitalisation et de tarification, de même qu’au choix d’une constitution juridique : fédérale ou provinciale.
Dans le quatrième, 1930-1960, le thème « mutuelles et mutualisées : la consolidation des institutions » est décrit au travers : la crise, la prospérité et la sécurité sociale, la législation sur les assurances (législation fédérale, législation provinciale, législation et relations fédérales-provinciales), les compagnies à fonds social (problèmes et défis, nouvelles orientations, résultats des compagnies canadiennes-françaises), des sociétés de secours mutuels qui deviennent des compagnies mutuelles (législation critiquée, transformation des sociétés de secours mutuels en compagnie, mutualité et coopération, développement de la mutualité québécoise francophone). Dans cette phase, soulignons le renforcement des entreprises nationales, compagnies ou mutuelles, par imitation réciproque : adoption de la répartition des bénéfices et du risque entre tous les assurés par des compagnies et adoption de la constitution par charte et des primes graduées par des mutuelles.
Dans le cinquième, 1960-1984, le thème « l’expansion des entreprises et l’accroissement de la concurrence » est élaboré au travers : le rôle de l’État (établissement des régimes publics d’assurance et de rentes, programmes publics et assurance privée, rapport Parizeau de 1969 et législation québécoise, législation fédérale), l’évolution du marché de l’assurance de personnes (de l’assurance temporaire à l’assurance universelle, agent, courtier, vendeur de fonds mutuels, institutions financières ou simples assureurs ?), et la consolidation des entreprises (croissance du secteur coopératif, trois grandes mutuelles à contrôle québécois, compagnies anglophones : langue et affaires, autres assureurs). Dans cette phase, remarquons l’élargissement de la différenciation : assureur public ou privé, simple assureur ou institution financière diversifiée.
Enfin, dans le dernier chapitre, depuis 1984, le thème « du décloisonnement à la démutualisation : l’assurance de personnes à l’enseigne du néolibéralisme » est approfondi au travers : le décloisonnement au Québec (loi de La Laurentienne, suites du décloisonnement, Loi sur la distribution des services financiers [Projet de loi no 188] ; tendances récentes), la déréglementation au Canada (décloisonnement qui se fait attendre, lois fédérales de 1992, victoire pour les banques, vers un meilleur équilibre du système financier, tendances récentes), le marché de l’assurance après 1984 (de l’agent d’assurance au conseiller en sécurité financière, assurance comme placement en vue de la retraite, produits adaptés aux événements de la vie, évolution des cotisations et primes), les conséquences du décloisonnement au Québec (Québec Inc. : conglomérats financiers québécois, Mouvement Desjardins : supermarché financier ; retour aux sources), les tendances récentes – concentration, mondialisation, bancassurance (phase de consolidation ; mondialisation des marchés ; bancassurance) et l’assurance de personnes en 2010 en quelques chiffres. Dans cette phase, on perd en différenciation en raison de la démutualisation et de la disparition de mutuelles et la taille est de plus en plus déterminante : concentration dans une niche pour les plus petites, domination par acquisitions et fusions de plus en plus hors du territoire d’origine pour les plus grandes.
Que de chemin parcouru ! Alors que les premières entreprises nationales étaient dominées par les entreprises étrangères pionnières, leur position s’est inversée : Desjardins Financière, Industrielle Alliance-Vie, Sun Life du Canada, Manufacturers (Manuvie) et SSQ-Vie occupent les cinq premiers rangs des assureurs vie au Québec (p. 431).
Enfin, cette synthèse historique conduira-t-elle vers une théorisation ou un dispositif d’analyse ? L’intéressant épilogue en fait déjà ressortir des dimensions majeures à lire au début pour mieux s’approprier la structure narrative de chaque chapitre.