Comptes rendus

Daschuk, James, La destruction des Indiens des Plaines. Maladies, famines organisées et disparition du mode de vie autochtone (trad.), Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2015, 365 pages[Notice]

  • Anne-Hélène Kerbiriou

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  • Anne-Hélène Kerbiriou, Ph.D.
    Ethnologue et traductrice

« La mort s’est abattue sur nous tous ; elle a emporté la moitié d’entre nous par la variole, dont nous ne savions rien jusqu’à ce qu’elle sème la mort parmi nous. Nous l’avons attrapée des Indiens Serpents. […] Nous avons attaqué leurs tentes […] mais nos cris de guerre se sont vite étouffés dans nos gorges. Nos yeux étaient remplis de terreur ; il ne restait personne à combattre, que des morts et des mourants, tous affreusement rongés dans leur chair (p. 69). » La lecture de cet ouvrage est passionnante tant l’auteur y expose précisément des faits souvent méconnus. Mais elle est aussi une véritable épreuve tant s’y succèdent les hécatombes et les causes de mortalité en tous genres, des famines aux maladies vénériennes, des affrontements entre différents groupes aux milliers de décès dus à la tuberculose, l’influenza ou la rougeole, jusqu’à l’inconscience des autorités canadiennes ou à leurs bonnes intentions qui ont pu s’avérer nuisibles. En refermant ce livre, on ne peut s’empêcher de penser qu’une implacable fatalité était à l’oeuvre dans la destruction des Indiens des Plaines, quasiment indépendamment des actions humaines, même si celles-ci n’étaient pas toutes honorables. Il ne s’agit pas que d’une impression sans doute. James Daschuk est chercheur en santé des populations. Dans son introduction, il précise qu’il ne s’agit pas d’un livre d’ethnohistoire, ni d’une vision « émique » qui regarderait l’histoire du point de vue des Amérindiens, mais qu’il « porte… sur ce que les Autochtones ont fait, sur les lieux qu’ils ont habités et les aliments qu’ils ont consommés pendant environ 160 ans, à l’époque où s’implantait dans les Plaines canadiennes l’économie mondiale » (p. 11). Il examine dans le détail ce que négligent les discours qui donnent pour cause au déclin des peuples autochtones « les agissements humains et la cupidité », à savoir l’effroyable mortalité causée par les pathogènes apportés par les Européens (p. 18). Cette impression d’implacable fatalité tient probablement aussi à la grande échelle des contextualisations, l’auteur passant avec aisance des cataclysmes planétaires aux forces économiques mondiales qui exerçaient leur influence jusqu’aux comptoirs de traite les plus reculés. Dans le chapitre 1, par exemple, on apprend qu’une gigantesque éruption volcanique survenue en l’an 1259, en perturbant profondément les conditions climatiques, a mis un terme à des siècles de croissance des populations amérindiennes. En nous faisant suivre ces populations dans leurs déplacements et leurs adaptations, l’auteur montre que les perturbations du mode de vie autochtone avaient précédé l’arrivée des Européens. Les chapitres 2, 3 et 4, « L’émergence de la traite des fourrures : contagion et dislocation territoriale », « L’intensification de la concurrence : essor du commerce et propagation des maladies, 1740-1782 » et « La guerre des fourrures : désespérance et carnage, 1783-1821 » nous font suivre à l’échelle du continent et jusque dans les détails les plus parlants les bouleversements du monde autochtone : « Dans les années 1730, montés sur des chevaux d’origine ibérique, les Serpents se battent le long de la rivière Deer contre les Cris et les Niitsitapis, eux-mêmes équipés de mousquets venus d’Angleterre. Les gens du Nord n’ont jamais vu de chevaux, et peut-être ceux du Sud n’ont-ils jamais vu de fusils. Les uns et les autres devront bientôt affronter la variole pour la toute première fois » (p. 68). Dans le chapitre 5, « Le monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone, 1821-1869 », l’auteur nous fait comprendre que chaque amélioration du réseau de transport permet aux épidémies de se répandre plus vite, et que même l’introduction du cheval, qui est le symbole par …