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Frank Abbott, professeur émérite à l’Université Kwantlen Polytechnic de Colombie-Britannique, signe cet ouvrage consacré à la religion et la culture de la paroisse Saint-Joseph-de-Beauce. Cette étude est essentiellement sa thèse de doctorat complétée en 2002. Historien de l’histoire sociale et culturelle du Québec, il ne se contente pas de nous livrer une microhistoire de la plus ancienne paroisse de Beauce. Il cherche plutôt à mieux cerner, à travers cette étude de cas, les relations et tensions existant entre les fidèles et l’Église au XIXe siècle. Abbott souhaite notamment démontrer que les paroissiens de Saint-Joseph ne privilégiaient pas toujours le salut de leur âme aux tentations de leur corps. La toile de Cornelius Krieghoff qui illustre la couverture du livre résume ultimement assez bien la thèse de l’ouvrage. Dans une société où la religion était omniprésente, les fidèles trouvaient souvent un équilibre entre les exigences ecclésiales et les penchants du monde physique. Ainsi, des exceptions étaient souvent faites à la discipline du jeûne comme à de nombreuses autres prescriptions du clergé. Abbott présente ainsi les limites du contrôle clérical dans la société rurale canadienne-française du XIXe siècle.
C’est au fil des huit chapitres de cet ouvrage que Frank Abbott cherche à ébranler le mythe persistant voulant que les Canadiens français de la seconde moitié du XIXe siècle aient été entièrement soumis à l’Église catholique. Les rapports paroissiaux de la période témoignent d’ailleurs régulièrement des inquiétudes du clergé face aux danses, à la consommation d’alcool et à la sexualité de leurs paroissiens. Pour Abbott, les fidèles exerçaient plus d’indépendance face à leurs curés qu’on n’a été porté à le croire. Cela ne les empêchait pas pour autant d’être profondément attachés à leur institution comme en fait foi l’ensemble institutionnel catholique s’étant développé autour du village grâce à leur générosité.
Abbott ne se contente pas de faire de son ouvrage une étude strictement religieuse. C’est la culture de toute la région qu’il examine, englobant par le fait même des considérations économiques, sociales et politiques. Ainsi, il s’intéresse au développement ferroviaire, aux changements apportés aux pratiques agricoles, au système d’éducation, à la consommation d’alcool et aux nombreuses fêtes marquant la saison hivernale.
Abbott nous offre des réflexions intéressantes sur la place du curé de campagne dans un village québécois au XIXe siècle et particulièrement sur sa position d’étranger. Bien qu’étant le pasteur à la tête de la communauté locale, ce dernier, souvent isolé, pouvait devenir victime des commérages et des rumeurs du village. Abbott démontre les difficultés de certains prêtres affectés à la paroisse de Saint-Joseph à assurer leur autorité sur la population locale. Les fidèles pouvaient d’ailleurs exiger le renvoi d’un prêtre auprès de l’Ordinaire comme ce fut le cas en 1850. Les paroissiens exerçaient ainsi une certaine indépendance face à leurs curés. Ces derniers, quant à eux, étaient rarement pleinement satisfaits de la piété de leurs fidèles. Néanmoins, comme l’indique Abbott, prêtres et laïcs partageaient à bien des égards une compréhension similaire de ce qui constituait des désordres moraux.
Le chapitre consacré aux croyances, aux superstitions et à la spiritualité populaire est particulièrement intéressant. Abbott tente autant que possible de donner voix aux fidèles qui adhèrent selon lui à différents systèmes d’interprétations culturelles qui occasionnellement se contredisent. S’il se heurte comme bien d’autres historiens au manque de sources populaires, cela ne l’empêche pas de dresser de manière convaincante un portrait de la culture des fidèles de la région. Il s’inspire pour ce faire des Archives de folklore de l’Université Laval qui regroupent des entrevues réalisées auprès de personnes âgées durant les années 1970 et qui lui permettent de mieux cerner la culture locale. Pour Abbott, ces fonds sont pertinents car il se dégage dans les pratiques religieuses des habitants de la Beauce une grande continuité avec le passé. Parmi les autres sources enrichissant cette étude, on retrouve les rapports paroissiaux, les archives diocésaines, paroissiales et régionales et les données des recensements canadiens. Exception faite des Archives de folklore, les conclusions d’Abbott n’en demeurent pas moins largement fondées sur les observations du clergé.
Si Abbott dans son ouvrage ne vient pas renouveler de manière significative l’historiographie, cette étude a l’avantage de soutenir par des exemples concrets tirés de la paroisse Saint-Joseph-de-Beauce les dernières avenues empruntées par la discipline. Reposant sur une vaste recherche, de riches archives et une impressionnante bibliographie, ce livre vient renforcer les thèses de nombreux historiens de l’histoire socioreligieuse du Québec. C’est de manière convaincante qu’Abbott applique leurs écrits au cas particulier de cette région. Les paroisses rurales ont jusqu’ici peu retenu l’intérêt des historiens. Voilà pourquoi la publication de cette étude est la bienvenue.
Bien que les minutieuses explications des croyances et rites catholiques même les plus élémentaires alourdissent parfois le texte, elles font également de cet ouvrage un excellent outil pédagogique pour les séminaires en histoire. Abbott prend la peine d’expliquer de nombreuses subtilités de la foi catholique, de la liturgie et de la vie paroissiale, permettant ainsi de pénétrer un monde de moins en moins familier aux jeunes générations. On reconnaît aisément à la lecture de cet ouvrage la plume du professeur expérimenté.