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Cet ouvrage collectif rassemble six contributions mettant en relation la Confédération avec le Canada français. Poursuivant une « double démarche » (p. 2), elles se répartissent en deux parties. Les trois premières se penchent sur les pourparlers entourant la formation de la fédération canadienne dans l’objectif précis de mieux comprendre « la façon dont la problématique de la présence d’une nation canadienne-française a été abordée » (p. 2-3). Comment les délégués présents aux conférences constitutionnelles ont-ils discuté des francophones ? Quels droits envisageaient-ils de leur accorder ? Comment les Canadiens français du Québec et de l’Ontario et les Acadiens du Nouveau-Brunswick se positionnaient-ils par rapport au projet politique de 1867 ? Le seconde partie de l’ouvrage, qui regroupe les trois autres contributions, dresse un bilan de la Confédération par rapport au Canada français afin de comprendre si l’évolution politique du pays a été favorable ou non à son épanouissement. L’ouvrage se termine par une conclusion, écrite par Philip Resnick, qui esquisse une prospective du Canada français.

Dans la première contribution, le juriste Gaétan Migneault met en question la thèse voulant que l’attitude négative des Acadiens envers la Confédération s’explique par leur méconnaissance du projet et des enjeux politiques contemporains. L’auteur prétend plutôt que l’opposition des Acadiens doit être comprise à la lumière de nombreuses revendications politiques qu’ils ont menées depuis les années 1830 en vue d’obtenir certains droits politiques, notamment dans le domaine des écoles confessionnelles et dans la traduction en français des travaux de l’Assemblée législative. Le vote anticonfédéral des Acadiens du Nouveau-Brunswick en ce sens ne serait pas attribuable à leur ignorance ou à leur analphabétisme ; il tient plutôt d’une stratégie délibérée par laquelle les Acadiens souhaitaient protéger leurs intérêts.

La seconde contribution, écrite par le politologue Jean-François Caron, met aussi en cause une thèse dominante, à savoir que l’État fédéral canadien ne se serait pas construit sur un « pacte », soit celui de la reconnaissance et l’égalité entre les peuples canadien-anglais et canadien-français et, de ce fait, n’aurait pas permis à la majorité canadienne-française du Québec d’affirmer pleinement sa différence ethnoculturelle. À partir d’une analyse de discours de deux Pères fondateurs, George Brown et George-Étienne Cartier, Caron montre que leur conception du fédéralisme reposait sur un idéal normatif d’assurer la possibilité, au nom du caractère binational du pays, à chacune de ses composantes de s’autodéterminer en exerçant les compétences essentielles à leur identité respective. Le fédéralisme canadien n’aurait pu en ce sens conduire « à l’asservissement du peuple québécois » (p. 54).

L’historien Marcel Martel, dans la dernière contribution de la première partie, cherche à déterminer la place occupée par les Canadiens français vivant à l’extérieur de ce qui deviendra le Québec lors des débats entourant la fondation du Canada. Son analyse montre que les délégués du Canada français aux conférences constitutionnelles s’en préoccupaient peu du fait, d’une part, qu’ils méconnaissaient la situation des francophones hors Québec et, d’autre part, qu’ils étaient surtout préoccupés d’obtenir une forme d’autonomie politique pour les Canadiens français du Québec.

Le premier texte de la seconde partie de l’ouvrage traite du régime linguistique néo-brunswickois mis en place depuis les années 1960. Le Nouveau-Brunswick est la seule province qui reconnaît les deux langues officielles du pays et, qui plus est, l’égalité de ses deux communautés linguistiques. Cette contribution est celle qui s’intègre le moins bien au collectif, l’auteure n’ayant pas vraiment réussi à mettre en relation son sujet avec la Confédération, même si elle réussit à montrer en quoi le régime linguistique néo-brunswickois est redevable en partie du cadre fédéral. Le politologue Réjean Pelletier, dans la seconde contribution, soutient que le système politique canadien a compromis l’épanouissement collectif du peuple québécois. Bien que le Québec, sous l’impulsion du néonationalisme de la Révolution tranquille, ait mis en place une politique linguistique propre dont la loi 101 constitue la pièce centrale, la position des francophones au Québec est fragilisée du fait que les transferts linguistiques vers l’anglais demeurent majoritaires auprès des immigrants et que la population de langue française maternelle diminue. L’auteur estime du reste que le Québec ne peut compter que sur ses propres moyens puisque le cadre fédéral d’« une politique de bilinguisme et une charte des droits fondées toutes deux sur la reconnaissance de droits individuels ne peut assurer la survie de collectivités qui vivent en situation d’infériorité », comme le Québec francophone « qui vit dans un univers largement anglophone canadien et nord-américain » (p. 137).

Caron, dans la troisième contribution, soutient au contraire que le système fédéral mis en place à partir de 1867 a permis aux Québécois d’affirmer leur identité et de s’autodéterminer. Même si sur le plan symbolique le caractère multinational de l’État canadien est déficient, le fonctionnement du fédéralisme canadien a dans les faits, notamment par le traitement asymétrique et les ententes administratives entre Ottawa et Québec, fait preuve d’une souplesse qui n’a en rien menacé l’autodétermination du peuple québécois.

Dans l’ensemble, ce collectif est une contribution importante à l’étude de la Confédération et de son impact sur le Canada français. Plusieurs de ses chapitres remettent en question des thèses dominantes et offrent ainsi de nouveaux éclairages sur des enjeux maintes fois analysés. L’interdisciplinarité et le fait que certains des chapitres dialoguent et débattent entre eux sont deux points forts de cet ouvrage. Il n’en demeure pas moins que le lecteur éprouve quelque peu de difficultés à réconcilier les deux parties de l’ouvrage qui n’ont que peu de liens entre elles. Enfin, on s’étonnera qu’une thématique aussi large que celle du « Canada français et la Confédération » n’ait fait l’objet que de six contributions dont la moitié proviennent des deux directeurs du collectif.